Tribunal administratif N° 14140 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 novembre 2001 Audience publique du 5 juin 2002
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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14140 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le … à Borostica/Tutin (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2001, notifiée le 5 septembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2002 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pascale HANSEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 8 février 1999, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut en outre entendu le 10 septembre 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 28 août 2001, notifiée le 5 septembre 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que deux mois avant votre arrivée au Luxembourg vous avez quitté votre village pour aller à Sarajevo où vous êtes resté jusqu’au 5 février 1999. Ce jour-là , vous avez quitté la Bosnie. Vous dites avoir transité par la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne, changeant plusieurs fois de voiture en route, pour arriver au Luxembourg le 8 février 1999.
Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.
Vous exposez que vous n’avez pas encore fait votre service militaire, mais que vous avez passé le contrôle médical d’aptitude. Vous dites avoir reçu un appel pour le service militaire vers la mi-mars 1999, alors que vous vous trouviez déjà au Luxembourg. Vous dites que vous avez quitté le pays avant de recevoir un appel parce que vous ne vouliez pas aller à la guerre. Vous affirmez par ailleurs que dans l’armée les musulmans se feraient maltraiter par les Serbes qui seraient privilégiés. Vous avez peur qu’en retournant dans votre pays vous allez être puni pour insoumission.
Vous déclarez d’ailleurs que depuis que la guerre aurait éclaté au Kosovo, il n’y aurait plus de vie pour les musulmans dans votre pays. Vous exposez que plusieurs fois vous auriez été amené au poste de police et que vous auriez même été incarcéré pendant une nuit à deux reprises. Les policiers voulaient vous faire avouer que vous êtes du côté de Sulejman Ugljanin, le président du Sandzak. Lors de ces interrogatoires, vous auriez été maltraité par les policiers. Vous affirmez également que vous auriez été passé à tabac plusieurs fois par le même policier, un dénommé Milunovic Zvonko. Vous dites avoir porté plainte, mais votre situation se serait aggravée par la suite.
Concernant le premier motif invoqué à l’appui de votre demande d’asile, à savoir l’insoumission, je souligne que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même la crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne constitue pas une persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs, une loi d’amnistie pour les déserteurs et réfractaires a été votée par le parlement de la République Fédérale de Yougoslavie au mois de février et est entrée en vigueur au mars 2001. Vous ne risquez par conséquent plus d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour ne pas vous être présenté pour accomplir le service militaire.
Concernant la mauvaise situation politique en Serbie en général, et au Sandjak en particulier, ainsi que la situation particulière des ressortissants de confession musulmane, je signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais également et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.
Même si le récit relatif aux mauvais traitements vous infligés par la police en général et par le policier Zvonko en particulier a trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle – même à les supposer établis – qu’ils constituent une persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est par ailleurs de constater qu’en octobre 2000 le régime politique a changé en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives du 23 décembre 2000 en Serbie. La République Fédérale de Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par lettre du 3 octobre 2001, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 28 août 2001.
Par décision du 8 octobre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
Par requête déposée en date du 7 novembre 2001, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 28 août 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Borostica située en Serbie et de confession musulmane, qu’en février 1999, il aurait quitté son pays pour éviter d’être appelé à la réserve militaire et d’être contraint à participer à la guerre du Kosovo, que son refus d’intégrer les rangs de l’armée yougoslave serait motivé par sa réprobation de la guerre du Kosovo, dirigée contre d’autres musulmans et de la politique d’épuration ethnique mené par les Serbes à l’encontre des membres de la minorité musulmane, que suite à son départ, il aurait effectivement été appelé par l’armée yougoslave et qu’en raison de son insoumission, il serait recherché par la police militaire et qu’il risquerait d’être condamné par un tribunal militaire comme insoumis à une lourde peine de prison. Il insiste encore plus particulièrement sur son appartenance à la minorité musulmane, sujette à de nombreuses discriminations et il soutient que, malgré les récents changements politiques, la situation générale régnant dans son pays d’origine resterait très instable et dangereuse, spécialement pour les membres des minorités ethniques. Dans ce contexte, il fait encore état de plusieurs interpellations injustifiées par la police yougoslave et des mauvais traitements que lui aurait infligé un policier dénommé M. Z..
En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, sa religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans en Serbie, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. … et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition du 10 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, concernant le premier motif fondé sur son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.
En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.
En ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité musulmane de Serbie, il est vrai que la situation générale des membres de ladite minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.
Or, en l’espèce, les simples allégations du demandeur relatives à des prétendues arrestations arbitraires et des mauvais traitements par un policier serbe, à les admettre comme étant véridiques, ont certainement trait à des pratiques condamnables, mais elles n’établissent pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ de M.
…, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et qu’il n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 5 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 6