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05/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14128

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2002, 14128


Tribunal administratif N° 14128 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2001 Audience publique du 5 juin 2002

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Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14128 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2001 par Maître Joëlle HAUSER, avocat à la Cour, assistée de Maître Rudi DICKHOFF, avocat, tous les deux

inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bioc (Serbie/Youg...

Tribunal administratif N° 14128 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2001 Audience publique du 5 juin 2002

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Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14128 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2001 par Maître Joëlle HAUSER, avocat à la Cour, assistée de Maître Rudi DICKHOFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bioc (Serbie/Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel, qu’en celui de ses enfants mineurs …, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 juillet 2001, notifiée le 28 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative dudit ministre du 3 octobre 2001, suite à un recours gracieux du 27 septembre 2001 ;

Vu la lettre du 5 novembre 2001 de Maître Rudi DICKHOFF informant le tribunal de ce que ses mandants bénéficient de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Rudi DICKHOFF, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 4 mai 1999, Mme …, agissant tant en son nom personnel, qu’en celui de ses enfants mineurs …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 7 septembre 1999, elle fut en outre entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 juillet 2001, notifiée le 28 août 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Serbie au mois d’avril 1999.

Vous exposez ne pas avoir subi de persécutions personnelles.

Votre mari aurait été appelé à la réserve le 15 mars 1999. Vous n’auriez plus de nouvelles de lui depuis cette date. Vous expliquez avoir peur des Serbes étant donné qu’ils auraient enlevé votre mari.

Vous indiquez avoir eu des problèmes économiques.

Il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 27 septembre 2001, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 juillet 2001.

Par décision du 3 octobre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 5 novembre 2001, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 3 juillet et 3 octobre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs soutiennent en premier lieu que la décision confirmative serait insuffisamment motivée, au motif que la motivation serait abstraite et générale et que le ministre n’aurait pas pris position par rapport aux différentes précisions développées par eux dans le recours gracieux du 27 septembre 2001.

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise à la suite du recours gracieux, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. En effet, au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse, ce qui a été le cas en l’espèce, étant donné que les motifs énoncés dans la décision initiale à laquelle la décision confirmative renvoie, ensemble les compléments apportés par le représentant étatique au cours de la procédure contentieuse ont permis aux demandeurs d’assurer la défense de leurs intérêts en connaissance de cause, c’est-à-dire sans qu’ils aient pu se méprendre sur la portée du refus ministériel.

Ensuite, les demandeurs concluent à la réformation des décisions querellées pour erreur d’appréciation des circonstances de fait et de droit, au motif que le ministre n’aurait pas apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine.

A l’appui de ce moyen, ils font exposer qu’ils seraient de religion musulmane et originaires de la ville de Novi Pazar, située en Serbie non loin de la frontière du Kosovo, qu’ils auraient été persécutés par des Serbes nationalistes en raison de leur religion, qu’au moment de leur départ la guerre du Kosovo aurait encore été « d’actualité » et qu’ils auraient été sous la menace d’être atteints par des balles perdues, d’être pris dans des rixes ou de subir des agressions physiques, que leur région connaîtrait encore actuellement de nombreuses tensions et qu’un risque d’un nouveau conflit armé existerait toujours. Ils font encore état du fait que le mari de Mme … aurait été enrôlé de force dans l’armée yougoslave pour participer à la guerre du Kosovo et qu’ils seraient sans nouvelles de sa part depuis lors.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Mme … lors de son audition du 7 septembre 1999, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir leur appartenance à la minorité musulmane et la mauvaise situation générale de cette minorité en Serbie, il convient de relever qu’il est vrai que la situation des membres de minorités en Yougoslavie, notamment celle des musulmans, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par Mme … constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’elle n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie ou celle de ses enfants serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. – Dans ce contexte, le fait que le mari de Mme … aurait été contraint à faire le service militaire et le fait qu’elle serait sans nouvelles de sa part, à les supposer établis, quod non, sont insuffisants pour établir une persécution subie ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef voire dans celui de ses enfants.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 5 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14128
Date de la décision : 05/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-05;14128 ?

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