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05/06/2002 | LUXEMBOURG | N°13561

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2002, 13561


Numéro 13561 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2001 Audience publique du 5 juin 2002 Recours formé par les époux … et … …-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13561 du rôle, déposée le 12 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à l

a Cour, assistée de Maître Sarah TURK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des...

Numéro 13561 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2001 Audience publique du 5 juin 2002 Recours formé par les époux … et … …-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13561 du rôle, déposée le 12 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sarah TURK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse, Madame …, née le…, agissant tant en leur non personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … …, ainsi qu’au nom de Mademoiselle … …, née…, tous de nationalité albanaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 mai 2001, portant toutes les deux rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2001 par Maître Sarah TURK pour compte des consorts …;

Vu le courrier du délégué du Gouvernement du 23 octobre 2001 portant dépôt de la pièce supplémentaire de la renonciation de Messieurs … et … …, ainsi que de Madame … à leurs demandes d’asile;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sarah TURK et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 avril 2002.

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Le 3 décembre 1997, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Le 1er juin 1999, son épouse, Madame …, agissant tant en son non personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et … …, ainsi que Mademoiselle … …, également préqualifiés, introduisirent une demande tendant aux mêmes fins. Madame … et Mademoiselle … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur … fut entendu en date du 28 avril 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. L’audition correspondante de Madame … et de Mademoiselle … eut lieu séparément le 10 septembre 1999.

Le ministre de la Justice informa les consorts …, par décision du 15 janvier 2001, notifiée en date du 23 février 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les consorts … suivant courrier de leur mandataire du 22 mars 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 18 mai 2001, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 15 janvier et 18 mai 2001 par requête déposée le 12 juin 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle. Le recours en réformation est recevable à cet égard pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il échet de relever liminairement que le délégué du Gouvernement a soumis au tribunal en annexe à un courrier du 23 octobre 2001 la copie d’actes de renonciation à leurs demandes d’asile signés par Messieurs … et … …, ainsi que par Madame … en date du 16 octobre 2001. Le mandataire des demandeurs n’a pas pris position à l’audience à laquelle l’affaire fut plaidée quant à l’incidence de cette renonciation.

La recevabilité d’un recours contentieux s’apprécie au moment de l’introduction de la requête introductive d’instance, en l’espèce en date du 12 juin 2001, date à laquelle l’acte de renonciation ci-avant visé n’était pas encore intervenu, de sorte que la recevabilité du recours ne s’en trouve pas affectée.

Il n’en reste pas moins qu’il se dégage de la pièce susvisée qu’en date du 16 octobre 2001, Messieurs … et … …, ainsi que Madame … ont renoncé à leurs demandes en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, le document produit renseignant comme motif desdites renonciations « ASP ».

Or, par l’effet de ladite renonciation expresse, Messieurs … et … …, ainsi que Madame …, en renonçant à leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié, ont implicitement mais nécessairement également renoncé à l’action judiciaire sous examen, laquelle tendait à se voir reconnaître, par voie de réformation, ledit statut, de sorte que le recours est devenu sans objet dans leur chef. Il n’y a partant lieu de statuer sur les mérites du recours que pour autant que la situation de Monsieur … et de Mademoiselle … …, désignés dans la suite par « les demandeurs », est visée.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation inexacte de la situation actuelle en Albanie et de leur situation individuelle. Tout en admettant que Monsieur … ne s’est plus présenté depuis le 3 août 2000 au bureau d’accueil des demandeurs d’asile en vue de prolonger son attestation de demandeur d’asile et que, selon les informations des autorités allemandes, il serait arrivé à l’aéroport de Francfort en provenance de Tirana le 30 décembre 2000 muni d’un passeport albanais, ils contestent que ce retour permettrait de conclure à la cessation d’une crainte de persécution dans son chef sinon du moins dans celui des membres de sa famille, étant donné que seul un retour dans le pays d’origine pour y établir sa résidence permanente pourrait être reconnu comme cause de cessation du statut de réfugié, à l’exclusion d’un séjour seulement temporaire que Monsieur … a eu en Albanie pour retourner ensuite au Luxembourg, « pays de refuge ». A défaut d’autres précisions et d’informations quant aux raisons de ce retour au pays d’origine de Monsieur … et de sa situation précise, les demandeurs affirment qu’il ne faudrait dès lors pas tenir compte de cet élément dans le cadre de l’examen du bien-fondé de leur demande d’asile. Ils font valoir que Monsieur … aurait été depuis 1993 membre du parti monarchiste « Legaliteti » et qu’il en aurait même été membre fondateur, ainsi que successivement président et secrétaire dans l’arrondissement de Bérat, de manière à avoir participé à de nombreuses manifestations publiques du parti et recruté de nouveaux membres. Ils ajoutent qu’en raison de ses activités politiques, Monsieur … aurait fait l’objet de plusieurs convocations auprès de la police, tant sous le régime socialiste que celui du parti démocratique, qu’il aurait été interrogé et frappé à ces occasions, qu’il aurait été assigné à résidence de manière répétée, que leur maison familiale, dont le premier étage aurait servi de bureau du parti, aurait été détruite pendant les émeutes du mois de mai 1997, de sorte qu’ils auraient dû aller vivre auprès des parents de Monsieur …, et que la maison de ces derniers aurait été perquisitionnée au moins 8 fois entre juillet et novembre 1997. Les demandeurs relèvent enfin que Monsieur … n’aurait pas pu trouver un emploi faute d’avoir fait partie du parti politique au pouvoir et que ses trois frères, également membres du parti monarchiste, auraient également été maltraités, pour conclure que ces faits seraient de nature à fonder tant dans le chef de Monsieur que de Mademoiselle … une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.

5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il se dégage d’un rapport de la circonscription régionale Mersch de la police grand-ducale du 10 novembre 2000 que Madame … a déclaré aux agents de la police que Monsieur … ne résiderait plus à l’adresse commune à … depuis plus de trois mois, qu’elle ne l’aurait plus vu depuis ce moment et qu’il ne travaillerait plus depuis un certain temps. Il ressort d’une télécopie du Grenzschutzamt Frankfurt/Main du 31 décembre 2000 que Monsieur … est arrivé le 30 décembre 2000 à l’aéroport de Francfort à bord d’un avion en provenance de Tirana tout en étant muni d’un passeport albanais dépourvu de visa et qu’il a déclaré aux agents du Grenzschutzamt qu’il résiderait au Luxembourg, qu’il serait actif en Albanie comme maire d’une ville albanaise et qu’il entendrait voyager au Luxembourg pour charger une entreprise du nettoyage de ladite ville albanaise (« Bei einer von uns gestern, 30.12.2000 durchgeführten Einreisebefragung gab Herr … an, erstmalig zu reisen.

Weiterhin sei er als Bürgermeister in einer albanischen Stadt tätig und plant nun eine Reise nach Luxemburg, um eine dort ansässige Firma zu beauftragen, seine Stadt zu reinigen »). Il y a lieu de relever également que Monsieur … a déclaré lors de son audition en date du 28 avril 1999 qu’il n’aurait jamais eu de passeport et qu’une demande afférente de sa part en 1997 n’aurait pas connu de suites, mais qu’il ressort de la télécopie précitée du Grenzschutzamt Frankfurt/Main du 31 décembre 2000 que Monsieur … disposait d’un passeport albanais lors de son retour d’Albanie le 30 décembre 2000.

Il y a lieu de conclure à partir de ces éléments et des propres affirmations des demandeurs dans le cadre de leur recours contentieux que Monsieur … a séjourné en Albanie au cours de l’année 2000 pour retourner en direction du Grand-Duché le 30 décembre 2000 et qu’il s’est fait délivrer un passeport par les autorités albanaises au cours de ce séjour.

Contrairement aux affirmations des demandeurs, il incombe au demandeur d’asile, qui est retourné séjourner dans son pays d’origine après le dépôt de sa demande d’asile, de justifier des raisons l’ayant amené à retourner dans son pays d’origine malgré le risque allégué de persécution pour sa personne et des motifs pour lesquels ce séjour ne serait pas de nature à affecter la légitimité de sa crainte de persécution.

En l’espèce, force est au tribunal de conclure que le séjour de Monsieur … dans son pays de provenance et plus particulièrement la manifestation officielle de sa présence devant les autorités locales afin de se faire délivrer un passeport, sont de nature à ébranler la crédibilité des affirmations des demandeurs quant à l’existence dans leur chef d’une crainte justifiée de persécution de la part des autorités de leur pays d’origine, étant donné qu’à travers ce séjour Monsieur … s’est exposé au risque de faire l’objet d’une nouvelle main-

mise de la part des autorités de son pays d’origine.

Les demandeurs restant en défaut d’avancer des raisons concrètes ayant motivé le retour de Monsieur … en Albanie malgré sa crainte de persécution, il y a lieu de conclure que l’affirmation de Monsieur … de la subsistance d’un risque de persécution dans son chef n’est plus crédible. Dans la mesure où Mademoiselle … fonde sa propre crainte de persécution essentiellement sur les conséquences résultant pour elle de l’activité politique de son père, la crainte de persécution alléguée dans son chef ne saurait pas non plus être considérée comme crédible.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, le déclare sans objet pour autant qu’il a été introduit au nom de Madame … et de Messieurs … et … …, au fond et pour autant qu’il a été introduit au nom de Monsieur … et de Mademoiselle … …, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juin 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13561
Date de la décision : 05/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-05;13561 ?

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