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03/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14282

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juin 2002, 14282


Tribunal administratif N° 14282 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2001 Audience publique du 3 juin 2002

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Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14282 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2001 par Maître Dominique BORNERT, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc LIMPACH avocat, tous le

s deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nation...

Tribunal administratif N° 14282 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2001 Audience publique du 3 juin 2002

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Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14282 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2001 par Maître Dominique BORNERT, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc LIMPACH avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 juillet 2001, notifiée le 8 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision implicite confirmative intervenue sur recours gracieux se dégageant du silence observé par le prédit ministre par rapport au recours gracieux introduit en date du 7 septembre 2001 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 3 juillet 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Dominique BORNERT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2002.

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En date du 6 juin 2001, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … fut entendue en outre par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile en date du 21 juin 2001.

Par décision du 3 juillet 2001, notifiée le 8 août 2001, le ministre de la Justice informa Madame … que sa demande avait été rejetée au motif que la simple appartenance à un parti politique serait insuffisante pour lui valoir l’admission au bénéfice du statut de réfugié et que les maltraitances physiques et les menaces par elle invoquées ne seraient pas constitutives non plus d’une persécution ou d’une crainte de persécution telle que prévue par la Convention de Genève, de sorte que, étant donné que les autres faits par elle invoqués constitueraient certes des pratiques condamnables, mais ne seraient pas de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, force serait de constater que les motifs par elle invoqués traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Par courrier de son mandataire du 7 septembre 2001 Madame … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 3 juillet 2001. Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une réponse de la part du ministre, elle a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 3 juillet 2001 ainsi que celle confirmative résultant du silence dudit ministre par requête déposée en date du 10 décembre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Au fond, la demanderesse conclut à la réformation de la décision querellée en faisant valoir que le ministre aurait méconnu tant la situation générale spécifique à Mostar que sa situation en particulier, étant donné qu’en tant que musulmane habitant le quartier musulman de Mostar, elle aurait subi de fortes pressions psychologiques du fait d’avoir eu un fiancé croate, que son fiancé aurait été physiquement attaqué à Mostar et ceci notamment et principalement en raison de sa relation avec une femme de religion musulmane, et que du fait de cette relation elle aurait été exposée à un danger réel d’une attaque physique. La demanderesse expose par ailleurs avoir été membre du parti politique SDP et d’avoir subi des pressions et des menaces des membres du parti politique SDA, ces pressions d’ordre psychologique ayant été fondées sur le fait qu’elle n’aurait pas voulu adhérer au parti SDA. La demanderesse expose en outre avoir travaillé dans un établissement public dominé par des membres du parti politique SDA, de manière à avoir été exposée à des pressions psychologiques intolérables pour soutenir qu’en cas de retour forcé à Mostar, il serait à prévoir qu’elle aurait à subir à nouveau des pressions encore plus fortes de la part des adhérants du parti SDA. A partir des éléments ainsi exposés elle estime justifier de l’existence dans son chef d’une crainte raisonnable de persécution du fait de sa religion et de ses opinions politiques devant lui valoir l’admission au statut du réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame … et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … lors de son audition en date du 21 juin 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont la demanderesse fait état, à savoir sa confession musulmane et sa relation avec une personne croate, il convient de relever que s’il est vrai que la situation des couples dits « mixtes » est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voir d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout couple mixte serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

En l’espèce, la demanderesse reste en défaut d’établir qu’elle risque individuellement de faire l’objet de discriminations ou de maltraitances, voire que les autorités actuellement en place dans son pays d’origine seraient incapables de lui fournir une protection adéquate ou toléreraient des actes de persécution commis à son encontre.

Concernant ensuite les craintes de persécution en raison de l’appartenance de Madame … au parti politique SDP, voire de sa non-adhésion au parti politique SDA, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que Madame … indique simplement avoir été membre du parti SDP sans indiquer avoir exercé des activités politiques plus poussées. Par ailleurs, les agressions et pressions d’ordre psychologique invoquées, même à les supposer établies, ne revètent pas une gravité suffisante pour valoir comme motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il y a lieu de relever en outre qu’une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. trib. adm. 22 mars 2000, Dzogovic, n° du rôle 11659, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 32, p. 134).

Or, en l’espèce la demanderesse n’établit pas qu’au moment de son retour au pays, les autorités en place ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection appropriée.

Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef.

Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juin 2002 par :

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge, M.Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14282
Date de la décision : 03/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-03;14282 ?

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