Numéro 14148 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2001 Audience publique du 3 juin 2002 Recours formé par la société anonyme … S.A., Luxembourg contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt commercial communal et d’impôt sur la fortune sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14148 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2001 par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., anciennement … et Cie, société en commandite par actions, ayant son siège social à L-…, représentée par son liquidateur, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 août 2001 déclarant irrecevable la réclamation datée du 13 novembre 1998 introduite pour son compte à l’encontre du bulletin d’établissement de la valeur unitaire de la société … S.A. du 1er janvier 1993, émis le 13 août 1998 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2002 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2002 par Maître Pierre ELVINGER pour compte de la société … S.A. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pierre ELVINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 avril 2002.
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Par courrier datant du 13 novembre 1998, Monsieur …, réviseur d’entreprises, introduisit pour compte de la société anonyme … S.A. une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur», contre le bulletin d’établissement de la valeur unitaire de la société … S.A. du 1er janvier 1993, émis en date du 13 août 1998 par le bureau d'imposition sociétés 6, Luxembourg.
Une procuration établie en date du 12 novembre 1998 à Saint-Ouen par le liquidateur de la société … S.A. fut jointe en annexe à la réclamation prévisée du 13 novembre 1998.
Par décision du 3 août 2001, le directeur déclara la réclamation introduite par Monsieur … au nom de la société … S.A. irrecevable faute de qualité de son auteur aux motifs suivants :
« Considérant qu’en toutes matières pour pouvoir exercer l’action d’autrui, il faut avoir reçu mandat exprès à cette fin ;
Considérant qu’aux termes d’une procuration, dont copie a été annexée à la réclamation, le liquidateur de la société … a donné pouvoir au requérant de « représenter la société … S.A. vis à vis de l’administration des Contributions Directes Luxembourgeoise, et notamment de procéder aux formalités d’immatriculation, de signer toute déclaration à l’impôt sur le revenu, à l’impôt commercial communal et à l’impôt sur la fortune, d’approuver toute rectification de la base imposable, de remplir toute réclamation ou demande, de recevoir notification de toute décision, et généralement de poser tout acte qu’il jugerait nécessaire pour l’accomplissement de ce pouvoir de représentation » ;
Considérant qu’en l’espèce la procuration documente que le contribuable a donné au requérant un mandat de nature générale alors qu’en matière fiscale l’existence d’un pouvoir exprès et spécial est requis pour représenter et agir pour autrui au contentieux des impôts directs, étant entendu qu’une société est inhabile à postuler ;
Que le requérant, invité le 12 juillet 2001 à justifier de son pouvoir d’agir par le versement de la procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite, s’est borné à verser l’original de la procuration générale, dont copie avait déjà été annexée à la réclamation ;
Qu’en conséquence l’existence d’un mandat ad litem pour l’instance introduite répondant aux conditions légales n’est pas établie ;
Qu’il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable (cf. Conseil d’Etat, arrêt du 14.01.1986, n°6514 du rôle) ».
Par requête déposée en date du 8 novembre 2001, la société … S.A. a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale prévisée du 3 août 2001, ainsi que contre le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 1993, le bulletin d’établissement de l’impôt commercial communal, et le bulletin d’établissement de l’impôt sur la fortune de l’exercice 1993, tous les trois émis le 13 août 1998.
Dans la mesure où seul le bulletin d’établissement de la valeur unitaire de la société … S.A. du 1er janvier 1993, émis le 13 août 1998, a fait l’objet de la réclamation introduite pour compte de la société …, devant le directeur en date du 13 novembre 1998, le recours est irrecevable omisso medio pour autant qu’il est dirigé contre les bulletins de l’impôt commercial et de l’impôt sur la fortune, ceci au-delà et abstraction faite de la considération avancée en cause par le délégué du Gouvernement que de toute façon ni la cote d’impôt commercial ni la cote d’impôt sur la fortune ne peuvent être contestées au motif que la valeur unitaire dont elle dérivent est inexacte.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant tranché sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin d’établissement de la valeur unitaire du capital d’exploitation d’une société. Le recours en réformation est dès lors recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la société demanderesse fait exposer que Monsieur …, en sa qualité de réviseur d’entreprises, n’aurait eu à justifier d’un quelconque mandat de la part de la société … pour introduire une réclamation pour son compte auprès du directeur, étant donné que les règles relatives à la capacité et la à représentation des contribuables seraient les mêmes pour la procédure applicable devant le directeur que devant le juge de l’impôt et qu’un réviseur d’entreprises, dûment autorisé à exercer sa profession, serait légalement habilité à représenter un justiciable devant le tribunal administratif appelé à connaître d’un recours en matière fiscale.
Subsidiairement, pour autant qu’il serait jugé qu’un mandat serait requis, elle fait valoir que le mandat donné par le liquidateur de la société prévoit expressément que Monsieur … est autorisé à introduire devant l’administration des Contributions toute réclamation ou demande et que ce pouvoir daté au 12 novembre 1998 aurait été spécialement donné à Monsieur … dans le cadre de l’introduction de la réclamation à la base de la décision directoriale déférée du 13 novembre 1998. Elle estime que ce mandat ne saurait dès lors être considéré comme étant général, dans la mesure où le mandataire serait habilité à représenter la société uniquement devant l’administration des Contributions directes et non d’une manière générale devant toute instance administrative ou judiciaire.
Le délégué du Gouvernement rétorque que la prétention qu’un réviseur d’entreprises n’a pas besoin de justifier d’un mandat pour réclamer contre l’imposition d’un client serait pour le moins osée, étant donné que le mandat d’un avocat de la liste II, nonobstant une formation spécialisée en matière de procédure, ne serait pas présumé. D’autre part, il fait valoir que les termes de la procuration du 12 novembre 1998 contrediraient l’interprétation de la demanderesse, de sorte que le recours contre la décision d’irrecevabilité serait mal fondé.
Concernant le premier moyen du demandeur consistant à soutenir qu’un réviseur d’entreprises n’aurait pas besoin de justifier d’un mandat pour introduire une réclamation auprès du directeur, force est de constater que s’il est certes vrai que le législateur, en introduisant pour un réviseur d’entreprises dûment autorisé à exercer sa profession, la possibilité de représenter un justiciable devant le tribunal administratif appelé à connaître d’un recours en matière fiscale, a, par ce biais, consacré la possibilité dans le chef des réviseurs d’entreprises de recevoir un mandat «ad litem », et par là également reconnu leur capacité de postuler dans les limites tracées, il n’en demeure cependant pas moins que ce pouvoir de postulation dans le chef des réviseurs d’entreprises revêt un caractère exceptionnel pour être limité à la seule matière fiscale et aux instances déférés au tribunal administratif, à l’exception de celles portées devant la Cour administrative, de manière à être sujet à une interprétation restrictive quant à son étendue.
Dans la mesure où aucun texte de loi ne libère les réviseurs d’entreprises de l’obligation générale de justifier de l’existence d’un mandat lorsqu’ils représentent un contribuable devant le directeur, la demanderesse ne saurait utilement tirer argument des dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat pour soutenir que son mandataire n’avait pas à justifier d’un mandat de sa part pour introduire une réclamation devant le directeur.
Le paragraphe 102 (2) AO renvoie aux règles du code civil sur le mandat en l’absence de dispositions spécifiques dans l’AO.
L’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue le cas échéant in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé. Une procuration afférente doit dès lors être non seulement expresse, mais encore de nature à renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise (Trib. adm. 8 mai 2000, n° 11431, Pas. adm. 2001, v° Impôts, n° 243).
Il y a partant lieu d’examiner le libellé de la procuration du 12 novembre 1998 pour déterminer si en l’espèce Monsieur … était effectivement et valablement investi du pouvoir d’introduire une réclamation pour compte de la demanderesse contre le bulletin d’établissement de la valeur unitaire de la société … émis le 13 août 1998 à son égard.
La procuration sous examen étant limitée à la représentation de la société … « vis à vis de l’administration des Contributions directes Luxembourgeoise" », elle est non pas de nature générale, mais spéciale au sens de l’article 1987 du Code civil. Dans la mesure où elle ne confère cependant pas un pouvoir exprès au mandataire pour accomplir des actions déterminées, mais un pouvoir général pour certaines catégories d’actions, dont notamment « toute réclamation ou demande », elle est à considérer comme étant conçue en termes généraux au sens de l’article 1988 du Code civil, de manière à n’investir Monsieur … que du seul pouvoir d’accomplir des actes d’administration ou conservatoires.
Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur …, investi par la procuration sous examen datant du 12 novembre 1998 d’un mandat conçu en termes généraux, n’a pas pu valablement introduire pour compte de la société … S.A. une réclamation devant le directeur.
C’est dès lors à bon droit que le directeur a déclaré la réclamation irrecevable faute de qualité. Il s’ensuit que le recours est à déclarer non fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours irrecevable pour autant que dirigé contre les bulletins d’établissement de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune de l’exercice 1993 émis le 13 août 1998, le reçoit pour le surplus en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juin 2002 par:
M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
Schmit Delaporte 5