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30/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14164

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 mai 2002, 14164


Tribunal administratif N° 14164 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 novembre 2001 Audience publique du 30 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14164 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2001 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de M. …, né le … à Prijepolje (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actu...

Tribunal administratif N° 14164 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 novembre 2001 Audience publique du 30 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14164 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2001 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Prijepolje (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2001, notifiée le 7 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 24 septembre 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2002 par Maître Claude DERBAL ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Claude DERBAL et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 15 mars 2000, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 27 avril 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 juillet 2001, notifiée le 7 août 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez que vous auriez reçu un appel pour faire la réserve en date du 1er mars 2000, mais que vous n’auriez pas été à la maison. Vous craindriez à présent d’être liquidé pour cela.

Vous expliquez aussi que vous auriez été simple membre de l’OTPOR, une organisation estudiantine qui aurait eu pour but de combattre le régime de Belgrade. Tous les participants auraient été traités de traîtres et vous auriez été menacé de faire attention en traversant un pont. Vous dites que vous auriez été blessé en 1996 lors d’une manifestation contre la manipulation des élections. Vous précisez que vous n’auriez plus eu de sursis pour le service militaire suite à cette manifestation. Enfin, vous relevez que vous auriez également quitté votre pays d’origine à cause de la situation politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Le simple fait d’appartenir à l’OTPOR, même à supposer ce fait établi, alors que vous ne communiquez aucune pièce y relative, est insuffisant pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié. L’incident isolé ayant eu lieu il y a plus de cinq ans – même à le supposer établi – ne saurait pas non plus fonder une crainte justifiée de persécution.

Les autres motifs que vous invoquez (menaces) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 6 septembre 2001, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 juillet 2001.

Par décision du 24 septembre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 12 novembre 2001, M. … a fait introduire un recours principalement en réformation, sinon subsidiairement en annulation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 23 juillet et 24 septembre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur estime en premier lieu que les décisions du ministre de la Justice devraient encourir l’annulation pour défaut de motivation. Il soutient à ce titre que dans le cadre de son recours gracieux, il aurait apporté un élément nouveau, à savoir un certificat médical attestant qu’il aurait fait l’objet de sévices infligés par les autorités serbes deux mois avant son départ de son pays d’origine, mais que le ministre de la Justice aurait tout simplement omis de le prendre en considération en confirmant sa décision initiale sans avoir procédé à un réexamen de son dossier.

Or, en l’espèce, force est de retenir qu’aucun élément nouveau n’a été soumis par le demandeur au ministre dans le cadre de son recours gracieux, étant donné que le certificat médical qui documenterait le fait que le demandeur a subi des maltraitances de la part des autorités serbes lors d’une manifestation d’étudiants, n’a pas constitué un élément nouveau relativement à sa situation spécifique qui aurait été porté à la connaissance du ministre de la Justice. En effet, le demandeur avait déjà énoncé, lors de son audition du 27 avril 2000, le fait qu’il aurait été harcelé par les autorités serbes du fait de son appartenance à une organisation estudiantine, de sorte que le certificat n’est pas constitutif d’un élément nouveau, mais vient tout au plus conforter les affirmations émises lors de la prédite audition. Le ministre a dès lors pu se référer, dans sa décision confirmative, à la motivation – exhaustive en fait et en droit, notamment par rapport à ce motif de persécution – contenue dans la décision initiale.

Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la Serbie, appartenant à l’ethnie serbe et que ses convictions morales et politiques l’auraient amené à s’opposer au régime politique en place à Belgrade. Il soutient qu’il aurait été membre d’une organisation estudiantine dénommée « OTPOR » et qu’à ce titre, il aurait participé à des manifestations organisées par les étudiants contre le régime en place, ce qui aurait eu pour conséquence qu’il aurait été considéré comme un opposant au régime et un traître de son pays. Il fait valoir qu’il aurait reçu des « menaces directes d’attentat sur sa personne et a été brutalisé à plusieurs reprises, dont en dernier lieu le 21 janvier 2000, comme l’atteste, entre autre, le certificat médical ».

Le demandeur fait ensuite état de ce qu’il aurait reçu en date du 1er mars 2000 une convocation pour la réserve militaire, mais qu’il aurait refusé de rejoindre l’armée yougoslave pour des raisons de conscience valables. Il soutient que malgré le vote d’une loi d’amnistie, les autorités serbes continueraient à poursuivre les insoumis.

Le demandeur se réfère finalement à la situation générale instable régnant dans son pays d’origine, notamment en raison du fait que les « mêmes militaires et policiers qui ont conduit les exactions condamnées par la Communauté internationale demeurent en fonction », et ceci malgré le changement apparent de pouvoir intervenu dans la politique et en dépit de l’élection d’un nouveau président yougoslave, pour soutenir que face à ce pouvoir, il craindrait avec raison pour sa vie.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition en date du 27 avril 2000 telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de M. … à une organisation estudiantine appelée « OTPOR », il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est cependant pas le cas en l’espèce, étant donné que M. … avait expressément déclaré lors de son audition qu’il n’avait pas eu un rôle actif dans l’organisation. Le demandeur reste par ailleurs en défaut de fournir la moindre précision quant aux activités menées par la prédite organisation.

Concernant l’allégation du demandeur qu’il aurait été maltraité physiquement par les autorités serbes lors de manifestations estudiantines- allégation que le demandeur entend documenter par un certificat médical établi le 21 janvier 2000, force est de constater que ce certificat, même s’il fait état de contusions et hématomes de la tête et du corps qui auraient été « subis pendant les manifestations d’étudiants », - indépendamment de la question de savoir comment un médecin a pu attester un tel état de chose - ne suffit pas pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Force est encore de retenir que M. … n’explique pas en quoi il risquerait à l’heure actuelle des persécutions en raison de son appartenance à ce mouvement d’étudiants qui, comme il l’a déclaré lui-même, n’était plus actif lors de son départ.

Quant au motif relatif à la situation générale instable en Serbie, et notamment au fait que le pouvoir politique en place n’aurait pas changé, malgré les élections intervenues, outre le fait que le demandeur se limite à lancer de simples affirmations, il y a lieu de retenir que le demandeur se rapporte en substance à l’existence d’un climat général d’insécurité, situation qui n’établit pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Finalement, concernant le moyen basé sur l’insoumission de M. …, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non application généralisée de ladite loi d’amnistie, il convient de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 30 mai 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14164
Date de la décision : 30/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-30;14164 ?

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