Tribunal administratif N° 14337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2001 Audience publique du 27 mai 2002
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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14337 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2001 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 novembre 2001, notifiée le 4 décembre 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2002;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Christian GAILLOT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2002.
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En date du 15 décembre 1998, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut en outre entendu en date du 16 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 5 novembre 2001, notifiée le 4 décembre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif que l’insoumission par lui invoquée à l’appui de sa demande ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que par ailleurs la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo ne pourrait entrer en ligne de compte à cet égard que lorsqu’il serait établi concrètement que la situation individuelle du demandeur d’asile serait telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, condition non remplie dans le chef de Monsieur …. Le ministre a relevé en outre à cet égard qu’au vu de la situation politique actuelle au Kosovo une persécution systématique des minorités ethniques serait à exclure.
Par requête déposée en date du 21 décembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 5 novembre 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que la décision déférée n’apprécierait pas à ses justes proportions sa situation individuelle, étant donné que les habitants du Kosovo et plus particulièrement les minorités ethniques dont notamment les musulmans non-albanais n’y seraient nullement en sécurité, que les forces d’interposition internationales, même si elles étaient de nature à prévenir un conflit inter-ethnique proprement dit, n’empêcheraient pas les actions violentes isolées à l’encontre de certaines personnes et que l’ambiance actuelle serait anarchique au Kosovo, alors que des bandes armées rançonneraient les habitants et notamment les minorités et que ni l’armée, ni la police n’arriveraient à garantir aux habitants une totale sécurité. Il relève en outre avoir été victime d’arrestations arbitraires avant son départ, et qu’il aurait dû effectuer son service militaire au sein de l’armée serbe, de manière à être exposé à un risque d’incarcération en cas de retour dans son pays d’origine suite à sa désertion. Il soutient à cet égard que la loi d’amnistie adoptée dans son pays d’origine ne protégerait pas les déserteurs et se réfère plus particulièrement à cet égard à un article paru en date du 13 mars 2001 au journal « Vesti ».
Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient à la demanderesse d’asile d’établir qu’elle remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 16 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.
Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).
En l’espèce, la demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes ou discriminations par des groupes de la population albanaise du Kosovo, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par le demandeur s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il échet de relever dans ce contexte que le demandeur ne fait état d’aucun élément concret à la base de sa demande d’asile permettant d’évaluer les persécutions ou les risques de persécutions qu’il risquerait d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine. Ainsi, à défaut d’avoir établi des circonstances particulières susceptibles de justifier dans son chef de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, il y a lieu de retenir qu’il n’existe aucun élément individuel et concret de nature à établir qu’il risque de subir des traitements discriminatoires pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.
Concernant le motif de persécution ayant trait à la désertion de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A 2, de la Convention de Genève.
En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.
Concernant l’allégation relative à une non application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence notamment à un extrait du journal « Vesti » du 13 mars 2001, se rapportant au cas du sous-officier Dzemail MASOVIC, qui lors de son retour en Yougoslavie, aurait été arrêté et emprisonné en raison de sa désertion, il convient en premier lieu de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).
En outre, il convient d’ajouter que l’extrait du journal « Vesti » invoqué par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenu pour invalider la conclusion ci-avant dégagée. En effet, à admettre son authenticité, il ne permet en tout état de cause pas desituer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps. Par ailleurs, ladite pièce ne renseigne pas sur les suites et aboutissements que la procédure éventuellement menée a connus.
Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef.
Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 mai 2002 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielman, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Lenert 6