Tribunal administratif N° 14294 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2001 Audience publique du 27 mai 2002
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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision des ministres du Travail et de l’Emploi et de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14294 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2001 par Maître Paul URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du 5 septembre 2001, lui notifiée le 19 septembre 2001, émanant du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi, et refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour formulée dans le cadre de la régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2002;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2002 par Maître Paul URBANY au nom du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du Gouvernement Madame Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2002.
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Monsieur …, introduisit en date du 16 juin 1999 une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1958 auprès du ministère de la Justice. En date du 25 juin 2001, il formula une demande en obtention d’une autorisation de séjour couchée sur un formulaire afférent établi par les « ministère du Travail et de l’Emploi, ministère de la Justice, Zone d’activité « Cloche d’Or », 5, rue G. Kroll, L-2941 Luxembourg ».
Par décision du 5 septembre 2001, signée par le ministre de la Justice d’une part et le ministre du Travail et de l’Emploi d’autre part, Monsieur … s’est vu refuser l’autorisation de séjour sollicitée, au motif que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.
l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics ».
Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.
Par courrier du 1er octobre 2001, le mandataire de Monsieur … a demandé de consulter le dossier administratif. Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 5 septembre 2001 par requête déposée en date du 12 décembre 2001.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Le demandeur conclut d’abord à l’annulation de la décision déférée pour défaut de motivation suffisante en faisant valoir qu’il aurait appartenu aux auteurs de la décision déférée d’indiquer avec précision le ou les faits concrets lui reprochés, voire les condamnations pénales ou autres qui de leur avis étaient de nature à justifier un refus de séjourner sur le territoire luxembourgeois. Il estime que la simple référence à la législation applicable ne permettrait pas à l’étranger concerné de connaître le ou les faits lui reprochés, ainsi que d’apprécier par voie de conséquence le bien-fondé de la décision prise à son encontre.
Force est de constater que la décision attaquée indique clairement que l’autorisation de séjour a été refusée au demandeur au motif qu’il est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics et que cette motivation a été utilement complétée, au cours de la procédure contentieuse, par le délégué du Gouvernement, lequel a précisé que Monsieur … a été verbalisé en date du 20 janvier 2001 par le centre d’intervention de Troisvierges pour avoir commis des faits graves dont « Diebstahl/Erpressung vermittels Gewalttätigkeiten und Drohungen » , « Hehlerei », « freiwillige Schläge und Verwundungen », de même qu’il a complété les motifs à la base de la décision déférée en relevant que Monsieur … ne disposerait pas non plus de moyens d’existence personnels et suffisants, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre de la Justice a pu se baser sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour étrangers 2. le contrôle médicale des étrangers ; 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère, pour rejeter sa demande d’autorisation de séjour.
Il s’ensuit que le reproche d’un défaut de motivation ou d’une motivation insuffisante n’est pas fondé.
Le demandeur conclut en outre à l’annulation de la décision déférée pour erreur d’appréciation manifeste, sinon erreur de fait et de droit, en faisant valoir que les auteurs de la décision déférée n’auraient pas recherché concrètement les faits lui reprochés qui seraient de nature à compromettre la sécurité et l’ordre publics dans la mesure ou cette décision ferait simplement référence, de manière tout à fait générale, à son dossier administratif. Il soutient en outre que le seul procès-verbal référencé sous le numéro 21012/2001 figurant dans son dossier administratif et établi en date du 20 janvier 2001 par la police grand-ducale de Troisvierges ne contiendrait aucune déposition de sa part quant aux faits lui reprochés, ni une déposition d’autres témoins éventuels à part celle des plaignants et il conteste formellement et énergiquement les faits retenus à la base dudit procès-verbal. Estimant qu’aucun élément de preuve permettant de dénoter dans son chef un comportement personnel révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public n’aurait été fourni à son dossier administratif, voire en cours de procédure contentieuse, le demandeur conclut partant à l’annulation de la décision déférée pour avoir été prise sur base d’une erreur d’appréciation manifeste des faits. Il s’empart ensuite du droit au respect de la présomption d’innocence pour soutenir que le procès-verbal prévisé du 20 janvier 2001 ne saurait en aucun cas valoir comme preuve dans son chef d’avoir commis les faits lui reprochés, ceci tant qu’il n’aurait pas fait l’objet d’une condamnation pénale pour lesdits faits lesquels constitueraient des accusations assez vagues contenues dans une plainte à son égard.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement, outre de souligner qu’il serait suffisant que l’étranger concerné soit susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, relève que force serait de constater en l’espèce que Monsieur … ne disposerait pas non plus de moyens d’existence personnels et suffisants, de sorte que la décision litigieuse opérant un refus d’autorisation de séjour sur base de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, se justifierait en tout état de cause par rapport à ce motif complémentaire de l’absence de moyens d’existence personnels suffisants.
Dans son mémoire en réplique le demandeur rencontre ce motif de refus en faisant valoir qu’ensemble avec sa requête en annulation il a versé au dossier une déclaration d’engagement établie par la société d’électricité générale COP Luxembourg s.à.r.l. qui se proposerait de l’engager en tant qu’électricien pour une durée indéterminée, de sorte que dès la délivrance de l’autorisation de séjour sollicitée, ainsi que d’un permis de travail afférent, il disposerait de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de son séjour au pays.
Il y a lieu de relever d’abord qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi précitée du 28 mars 1972 relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elle sont motivées par des raisons de santé publique.
La signature du ministre du Travail et de l’Emploi, apposée à côté de celle du ministre de la Justice n’est dès lors pas de nature à mettre en échec cette dernière, voire de relativiser la compétence en la matière du ministre de la Justice qui, a travers sa signature, a pleinement exercé son pouvoir de décision en la matière.
Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2001, V° Etranger, no 100 et autres références y citées).
La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour ou elle a été prise, de même qu’il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels se fonde l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, sans qu’il ne puisse se livrer, dans le cadre d’un recours en annulation, à une appréciation de l’opportunité de la décision attaquée.
En l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal que Monsieur … ne disposait pas de moyens propres suffisants au moment où la décision attaquée a été prise, étant donné qu’une simple déclaration d’engagement formulée en vue de voir accorder à un étranger un permis de travail ne saurait être reconnue comme documentant dans le chef de ce dernier l’existence de moyens personnels suffisants, ceci faute de l’autoriser directement à exercer l’activité envisagée, de sorte que le ministre a valablement pu refuser en l’espèce l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce seul motif.
En effet, l’exigence que les moyens personnels du demandeur en autorisation soient légalement acquis en ce sens que l’occupation du travailleur étranger ait reçu l’aval légalement requis du ministre du Travail et de l’Emploi, est inhérente à la notion même de moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, étant donné que la nécessaire précarité de revenue provenant le cas échéant d’une occupation irrégulière fait que par essence ces revenus ne sauraient être considérés comme suffisants au sens de la loi, faute de présenter une quelconque garantie au niveau de leur perception à l’avenir.
A défaut par le demandeur d’avoir apporté la preuve de l’existence d’autres moyens personnels, le ministre a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce seul motif. Il s’en suit que le recours laisse d’être fondé, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant l’autre motif de refus retenu à la base de la décision déférée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 mai 2002 par:
Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5