Tribunal administratif N°s 14070 et 14593 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 23 octobre 2001 et 20 février 2002 Audience publique du 16 mai 2002
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Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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JUGEMENT
I. Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14070 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2001 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Tirana (Albanie), sans état particulier, de nationalité albanaise, agissant tant en son nom personnel, qu’en celui de son fils …, né le … à Tirana, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision prise par le ministre de la Justice le 8 août 2001 par laquelle leur autorisation de séjour n’a pas été prolongée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2002 ;
Vu la lettre de Maître Jacques WOLTER du 18 mars 2002 par laquelle il informe le tribunal de ce qu’il a déposé son mandat et que l’instance est reprise par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg ;
II. Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14593 et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2002 par Maître Marc MODERT, au nom de Mme …, agissant tant en son nom personnel, qu’en celui de son enfant …, tendant à l’annulation de la susdite décision du ministre de la Justice du 8 août 2001, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 21 novembre 2001 suite à un recours gracieux des demandeurs ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc MODERT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 24 mars 1997, Mme …, de nationalité albanaise, sollicita oralement la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.
Après avoir été entendue en date des 25 et 27 mars 1997 par un agent du ministère de la Justice, sur les motifs à la base de sa demande et sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 17 juillet 1997, le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 13 août 1997, que sa demande était rejetée comme étant manifestement infondée.
Le 12 septembre 1997, Mme … introduisit un recours contentieux à l’encontre de la décision ministérielle du 13 août 1997.
Ce recours fut déclaré non justifié et rejeté par le tribunal administratif par jugement du 10 octobre 1997.
Suite à une intervention de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture du 12 décembre 1998 sollicitant une autorisation de séjour en faveur de Mme … et de son fils « pour raison humanitaire, ne serait-ce que pour le temps nécessaire à une clarification de sa situation familiale, le ministre de la Justice leur accorda par décision du 7 janvier 1999 un permis de séjour valable jusqu’au 5 janvier 2000. Ledit permis de séjour fut prorogé jusqu’au 31 décembre 2000 par décision du 14 janvier 2000.
Par lettre du 14 août 2000, le ministre de la Justice informa Mme … de ce qui suit : « En date du 7 janvier 1999, je vous accordais ainsi qu’à votre fils …, une autorisation de séjour pour raisons humanitaires. Cette autorisation était prolongée pour une année le 14 janvier 2000.
Or, je viens d’être informé par Madame le Commissaire du Gouvernement aux étrangers que votre comportement, ainsi que celui de votre fils sont loin d’être sans reproches.
Ainsi, non seulement vous continuez à habiter au Foyer Don Bosco, destiné en principe à l’accueil des demandeurs d’asile, mais vous refusez les ordres du responsable. De même, votre fils … s’amuse à conduire une voiture sur le parking du foyer, alors que beaucoup d’enfants en bas âge habitent au foyer. Votre fils a également mis hors fonctionnement le système d’alarme incendie du foyer et a même affirmé qu’il continuera à faire à sa guise. Je constate en outre que votre fils a fait l’objet de deux procès-verbaux de la Police pour vol et coups et blessures volontaires.
Je tiens à souligner que si une autorisation de séjour pour motifs humanitaires vous a été accordée, cette autorisation ne sera plus renouvelée à son terme, à savoir le 31 décembre 2000, si votre comportement ainsi que celui de votre fils n’auront pas changé d’ici là ».
Par lettre du 7 février 2001, ledit ministre adressa un autre courrier à Mme … pour l’informer de ce qui suit : « J’ai l’honneur de vous rappeler que le 7 janvier 1999, je vous accordais ainsi qu’à votre fils …, une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires.
Cette autorisation était prolongée pour une année le 14 janvier 2000.
Je vous rappelle également que l’autorisation de séjour vous avait été accordée sur base d’un jugement du tribunal du district de Tirana du 22 décembre 1997 par lequel vous auriez été condamnée à une peine d’emprisonnement de 5 ans.
Or, des recherches effectuées dans votre pays d’origine ont révélé que le jugement produit constitue un faux.
En outre, le Service de Police Judiciaire vient de m’informer que vous hébergez des personnes en séjour irrégulier.
Je constate donc que non seulement votre comportement n’a pas changé depuis mon courrier du 14 août 2000, mais en outre, vous avez abusé de l’hospitalité du Luxembourg en fournissant des pièces falsifiées.
Dès lors, j’envisage de ne plus prolonger l’autorisation de séjour qui vous avait été accordée jusqu’au 31 décembre 2000 ».
Par jugement du 21 février 2001, le tribunal de la Jeunesse près du tribunal d’arrondissement de Diekirch condamna M. … … à une réprimande et une interdiction de conduire un véhicule automoteur pour une durée de 6 mois et le soumit à l’obligation d’effectuer une mesure philanthropique pour une durée de 30 demi-journées pour conduite d’une voiture automobile sans être titulaire d’un permis de conduire valable, ne pas s’être comporté raisonnablement et prudemment et ne pas avoir conduit de façon à rester maître de son véhicule ainsi que pour coups et blessures volontaires, en l’occurrence pour avoir donné un coup de poing au visage du délégué aux réfugiés, directeur du foyer Don Bosco, où il résidait à l’époque des faits avec sa mère.
Par décision du 8 août 2001, le ministre de la Justice refusa de prolonger le permis de séjour antérieurement accordé aux consorts …. Ce refus est motivé comme suit : « Je constate que vous n’avez toujours pas fourni de preuve quant à l’authenticité du jugement du tribunal du district de Tirana du 22 décembre 1999 [sic] que vous avez produit lors de votre procédure d’asile.
En outre, plusieurs rapports de police me renseignent sur le fait que vous Monsieur, vous avez commis plusieurs délits sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et ceci après réception de ma lettre du 14 août 2000 par laquelle je vous ai informé que votre comportement serait loin d’être sans reproches.
Dans ces circonstances votre présence prolongée sur le territoire du Luxembourg constitue un grave danger pour l’ordre public ».
Suite à un recours gracieux des consorts …, introduit par lettre de leur mandataire du 5 octobre 2001, le ministre confirma sa décision du 8 août 2001 par lettre du 21 novembre 2002.
Par requête déposée en date du 23 octobre 2001, les consorts … ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 8 août 2001 par laquelle leur autorisation de séjour n’a pas été prolongée.
Par une deuxième requête déposée le 20 févier 2002, ils ont encore introduit un recours dirigé la décision initiale du 8 août 2001 et contre la décision confirmative dudit ministre du 21 novembre 2001.
Etant donné que les deux recours inscrits sous les numéros 14070 et 14593 du rôle sont connexes, étant relevé qu’ils ont été introduits par les mêmes parties demanderesses afin de contester la légalité d’un refus ministériel de prolongation de leur permis de séjour, tel que confirmé suite à un recours gracieux, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre pour y statuer par un seul et même jugement.
Les deux recours en annulation, non autrement contestés sous ce rapport, sont également recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.
Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la deuxième requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse dans cette affaire.
A l’appui de leurs recours, les demandeurs soutiennent en premier lieu que la fausseté du jugement du tribunal de Tirana du 22 décembre 1997 n’aurait pas été rapportée par le ministre de la Justice et que ce dernier ne saurait pas se baser sur une simple allégation pour justifier ses décisions de refus de prolongation de leur permis de séjour.
Ensuite, ils soutiennent qu’il ne serait pas établi que le comportement de M. … … constituerait une menace pour l’ordre public, étant donné qu’il n’aurait pas encore été condamné (sic).
Enfin, ils relèvent qu’un permis de séjour leur aurait été accordé le 7 janvier 1999 « pour des raisons humanitaires », ce qui aurait d’ailleurs rendu sans objet leur demande en reconnaissance du statut du réfugié au sens de la Convention de Genève (sic), pour soutenir que ladite autorisation de séjour ne saurait être que « pure et simple, inconditionnelle et sans restrictions de durée », le motif humanitaire étant de ceux qui « a priori doivent être jugés incompatibles avec une notion de durée, de limitation de durée ou de caractère éphémère ou prorogeable ».
Sur ce, ils soutiennent que le ministre n’aurait pas pu refuser la prolongation de leur permis de séjour et que sa décision afférente devrait « être analysée comme étant l’expression d’un arbitraire administratif qui voudrait relativiser voire totalement rapporter une décision antérieure définitive et devenue définitive par nature et essence ».
Le délégué du gouvernement soutient que le refus ministériel serait justifié par le fait que les demandeurs ne disposeraient pas de moyens personnels suffisants pour supporter leurs frais de voyage et de séjour et qu’il se dégagerait du comportement du fils de Mme … qu’il serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics.
Il convient en premier lieu de rejeter le moyen, qui est préalable, basé sur ce que les demandeurs seraient bénéficiaires d’un « droit acquis » à un permis de séjour, au motif que l’octroi « pour des raisons humanitaires » d’un permis de séjour ne saurait plus être remis en question par la suite.
En effet, étant relevé que ni la décision d’octroi d’un permis de séjour provisoire du 7 janvier 1999, ni la décision de prolongation du 14 janvier 2000, ne constatent que la demanderesse et son fils rentreraient dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales -
ce qui n’est par ailleurs pas soutenu par les demandeurs -, force est de constater que lesdites décisions s’analysent en de « simples » permis de séjour provisoires qui ne sauraient conférer à leurs bénéficiaires un droit acquis, mais qui peuvent, dans les limites des dispositions légales afférentes, toujours être révoquées, respectivement, lorsqu’elles arrivent à leur terme, comme dans le cas d’espèce, ne pas être renouvelées, le renouvellement étant conditionné par le respect des dispositions légales applicables.
Ceci étant, il convient ensuite d’analyser si le ministre pouvait légalement refuser le renouvellement du permis de séjour provisoire des demandeurs.
Dans ce contexte, il y a lieu de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2001, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). – Par ailleurs, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, op. cit. n° 12, et autres références y citées).
En outre, le tribunal doit relever qu’au cours de l’instruction de la présente instance, le délégué du gouvernement a utilement pu compléter les motifs de refus des décisions ministérielles et ajouter le motif tiré du défaut de moyens personnels suffisants pour assurer les frais de séjour et de voyage, étant donné qu’il est admis que l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (cf. Cour adm. 8 juillet 1997, Pas. adm. 2001, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n° 36, et autres références y citées).
L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère dispose notamment que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2001, V° Etrangers 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 100 et autres références y citées, p.149).
En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que les consorts … disposaient de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où la décision attaquée fut prise.
En outre, le comportement de M. …, tel qu’il ressort du dossier administratif, notamment les faits ayant abouti à sa condamnation précitée du 21 février 2001 par le tribunal de la Jeunesse près du tribunal d’arrondissement de Diekirch, sont d’une gravité incontestable, de sorte qu’on ne saurait reprocher au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait en ce qu’il a estimé que lesdits faits dénotent à suffisance de droit un comportement sinon un risque de comportement de M. … compromettant l’ordre et la sécurité publics et qu’ils constituent des indices suffisants sur base desquels le ministre a pu conclure à l’existence d’un risque sérieux qu’il continuera à constituer un danger pour l’ordre et la sécurité publics à l’avenir.
Le refus ministériel se trouvant justifié à suffisance de droit par lesdits motifs, l’examen de l’autre motif, basé sur la fausseté du jugement albanais de 1997, invoqué à l’appui du refus ministériel de délivrer un nouveau permis de séjour aux demandeurs, devient superflu et les deux recours en annulation sont à rejeter comme n’étant pas fondés.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
joint les affaires introduites sous les numéros 14070 et 14593 du rôle ;
les reçoit en la forme ;
au fond, les déclare non justifié, partant les rejette ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 16 mai 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 6