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16/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14185

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mai 2002, 14185


Tribunal administratif N° 14185 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2001 Audience publique du 16 mai 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14185 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/...

Tribunal administratif N° 14185 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2001 Audience publique du 16 mai 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14185 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Bérane, agissant tant en leur nom propre qu’en celui de leurs enfants …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 août 2001, notifiée le 29 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 9 octobre 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 6 novembre 1998, Monsieur …, et son épouse, Madame … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date des 5 mai et 10 décembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 9 août 2001, notifiée le 29 août 2001, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Monsieur vous exposez avoir accompli votre service militaire en 1993/94 à Pristina.

Vous auriez été appelé à la réserve militaire à quatre reprises en mai 1997. La police militaire serait venue vous chercher sans présenter une convocation écrite. Vous expliquez que vous n’auriez pas eu de droits au Monténégro. Vous auriez eu des problèmes avec la police. Vous auriez dû payer de nombreuses contraventions injustifiées.

Votre père aurait eu des problèmes avec la police. Elle lui reprochait de cacher des armes prohibées.

Vous déclarez ne pas avoir subi de persécutions personnelles. Vous auriez peur de la politique serbe et de la situation au Monténégro. Vous auriez peur d’une guerre au Monténégro.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle. Vous auriez peur des Serbes.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Par ailleurs, une loi d’amnistie pour les déserteurs et les réfractaires a été votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et est entrée en vigueur en mars 2001. Vous ne risquez par conséquent plus d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour ne pas vous être présenté pour accomplir la réserve militaire.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

La situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, les problèmes que vous auriez eus avec la police – même à les supposer établis – ne sauraient être considérés comme suffisamment graves pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

De même, les Serbes ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 9 août 2001, les époux …-…, agissant tant en leur nom propre qu’en celui de leurs enfants …, firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire du 28 septembre 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 9 octobre 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 9 août et 9 octobre 2001 par requête déposée en date du 15 novembre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de Bérane au Monténégro et de confession musulmane, que Monsieur … aurait été appelé à quatre reprises à la réserve de l’armée yougoslave, mais que, pour des raisons de conscience, ce dernier aurait refusé d’intégrer l’armée yougoslave, qu’il aurait eu des problèmes avec la police qui lui aurait reproché de cacher des armes et qu’il aurait régulièrement fait l’objet de brimades et de contraventions injustifiées de la part de la police yougoslave qui serait composée de militants pro-serbes. Ils estiment partant qu’il résulterait de ces éléments que leur peur serait liée au sort « inéluctable de persécution sinon d’exclusion dont font l’objet les musulmans du Sandzak ». Ils se réfèrent à cet égard à différents rapports établis par des organisations internationales pour soutenir que la situation de la minorité des bochniaques au Monténégro serait extrêmement difficile, étant donné que la population serbe les considérerait comme « les soutiens aux revendications Albanaises ».

Ils font finalement valoir qu’en raison de l’insoumission de Monsieur …, ce dernier risquerait d’être sévèrement condamné en cas de retour dans leur pays et ils se réfèrent à deux articles parus dans le journal « Vesti » pour soutenir que la loi d’amnistie ne serait pas concrètement appliquée à tous les insoumis ou déserteurs.

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécutions et ils demandent à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date des 5 mai et 10 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence notamment à un extrait du journal « Vesti » du 13 mars 2001, se rapportant au cas du sous-officier D. M., qui lors de son retour en Yougoslavie, aurait été arrêté et emprisonné en raison de sa désertion, et à un extrait du journal « Vesti » du 19 mars 2001 - extraits qui n’ont pas figurés parmi les pièces déposées au greffe du tribunal administratif - il convient de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

En ce qui concerne la situation des demandeurs en tant que membres de la minorité « bochniaque » du Monténégro, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les allégations vagues et non autrement circonstanciées des demandeurs relativement à leur crainte envers la police qui aurait reproché à Monsieur … de cacher des armes, ainsi qu’au fait que Monsieur … aurait fait l’objet de « brimades et contraventions injustifiées émises par la police », sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des « bochniaques ».

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 16 mai 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14185
Date de la décision : 16/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-16;14185 ?

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