Tribunal administratif N° 13955 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 septembre 2001 Audience publique du 15 mai 2002
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Recours formé par la société en nom collectif Ets …, et la société anonyme Ets … … contre une décision du bourgmestre de la commune de Sandweiler, en présence de l'association … en matière de remblai
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JUGEMENT
Vu la requête déposée le 6 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 13955 du rôle, par Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom des sociétés … … … S.A., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions et … … société en nom collectif, représentée par ses associés, les deux sociétés étant établies à L-…, tendant principalement à l'annulation, et subsidiairement à la réformation d'une décision implicite de refus du bourgmestre de la commune de Sandweiler, tirée du silence de plus de trois mois suite à une demande d'autorisation de remblai introduite le 6 mars 2001 et complétée le 17 avril 2001;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 26 septembre 2001, portant signification dudit recours à l'administration communale de Sandweiler, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-5240 Sandweiler, 18, rue Principale, ainsi qu'au …, association de droit allemand, représentée respectivement par son conseil d'administration ou son Vorstand actuellement en fonctions, sinon par ses organes dirigeants, ayant pour adresse en France F-
…;
Vu le mémoire en réponse déposé le 19 décembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l'administration communale de Sandweiler, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-5240 Sandweiler, 18, rue Principale;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal le 18 janvier 2002 par Maître Alain RUKAVINA, au nom des sociétés … … … S.A. et … … société en nom collectif, préqualifiées;
2 Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal le 14 février 2002 par Maître Jean KAUFFMAN pour compte de l'administration communale de Sandweiler, préqualifiée;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, préqualifié, du 18 février 2002, portant signification dudit mémoire en duplique aux sociétés … … … S.A. et … … société en nom collectif, ainsi qu'à l'association …, préqualifiées;
Vu les pièces versées;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Jean KAUFFMAN et Alain RUKAVINA en leurs plaidoiries respectives.
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Faisant exposer que la société anonyme … … … S.A. avait obtenu, le 23 février 2001, de la part du ministre de l'Environnement, l'autorisation de procéder au remblai de fonds sis à Sandweiler, au lieu-dit "…", inscrits au cadastre de la commune de Sandweiler, section A de Sandweiler sous les numéros …, sur base des dispositions de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, la société en nom collectif … …, agissant en sa qualité de propriétaire des fonds devant accueillir le remblai en question, sollicita, le 6 mars 2001, de la part du bourgmestre de la commune de Sandweiler sinon du collège échevinal de ladite commune, compte tenu de l'article 1er de la partie écrite du plan d'aménagement général de la commune de Sandweiler, qui soumet à autorisation, de la part de son propriétaire, les modifications sensibles du relief du sol, l'autorisation de procéder au remblai en question.
L'administration communale ayant gardé le silence par rapport à ladite demande pendant plus de trois mois, les sociétés … … … S.A. et … … société en nom collectif ont introduit, par requête déposée le 6 septembre 2001, un recours tendant principalement à l'annulation, et subsidiairement à la réformation de la décision de refus implicite de délivrer l'autorisation de remblai sollicitée le 6 mars 2001, ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité de procédure de LUF 50.000,-.
Encore que les demanderesses entendent exercer en ordre principal un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu la possibilité d'exercer un recours en réformation, l'existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision.
En l'espèce, aucun texte légal ne conférant au juge administratif le pouvoir de statuer comme juge du fond, il est incompétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en annulation, régulier quant aux exigences de forme et de délai, est recevable.
Au fond, les demanderesses concluent à l'annulation de la décision de refus implicite tirée du silence de la commune en invoquant l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes qui oblige l'autorité administrative à motiver ses décisions, une décision de refus tirée du silence de l'administration n'étant par définition pas motivée.
Le moyen en question est à rejeter, la sanction de l'obligation de motiver une décision administrative consistant dans la suspension des délais de recours et non dans son annulation.
3 La décision reste valable et l'administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif.
Pour justifier son refus de délivrance de l’autorisation sollicitée, l’administration communale de Sandweiler estime en premier lieu que dans la mesure où les demanderesses font état elles-mêmes du fait que les déchets inertes provenant de terrassements sont utilisés pour le remblai, il y a en fait création d’une décharge de la classe 1 qui ne peut être autorisée que sous les conditions arrêtées par la loi du 10 juin 1999 sur les établissements classés.
Ce moyen est à abjuger, étant donné que l’installation d’un établissement classé relevant de la classe 1 nécessite plusieurs autorisations, à savoir, d’une part, celles respectivement du ministre de l’Environnement et du ministre du Travail, et, d’autre part, celle de l’autorité communale compétente pour délivrer l’autorisation de construire, chacune de ces autorités administratives étant appelée à statuer dans sa sphère de compétence, et aucune ne pouvant, pour refuser de statuer, se retrancher derrière l’absence de décision de l’autre.
La commune estime que la demande des sociétés … est contraire à l’article 1er de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, au motif qu’il est communément admis que l’installation de décharges doit se faire dans les zones dites zones industrielles, et que ce n’est que très exceptionnellement que ces décharges peuvent être installées dans des zones autres et cela sous des conditions extrêmement restrictives.
Ce moyen est à rejeter à son tour, une telle appréciation ne rentrant pas dans les compétences de l'autorité communale appelée à délivrer une autorisation d'effectuer des travaux conformément aux dispositions du plan d'aménagement général et du règlement sur les bâtisses communaux. Par ailleurs, la loi du 11 août 1982, précitée, prévoit expressément dans son article 8, alinéa 3, l’installation de dépôts industriels et de dépôts de matériaux en dehors de zones industrielles prévues par des projets ou des plans d’aménagement communaux.
La commune estime par ailleurs, dans les parties de ses mémoires intitulées « en fait », qu’il sauterait aux yeux que la volonté du bénéficiaire de l’autorisation étatique est de transformer le site devant accueillir le remblai en zone industrielle.
Cette affirmation hypothétique ne saurait porter à conséquence, étant donné que, d’une part, elle est contredite par l’autorisation du ministre de l’Environnement du 23 février 2001, modifiée le 14 mars 2001, en vertu de laquelle les opérations de remblai ne doivent pas excéder la durée de deux ans et qu’après achèvement des travaux, le terrain doit être muni de plantations de manière à lui conférer un aspect naturel, et que, d’autre part, la création d’une zone industrielle nécessite l’accord des autorités communales appelées, à cet effet, à modifier le plan d’aménagement communal conformément à la procédure prévue par la loi du 12 juin 1937 concernant l'aménagement des villes et autres agglomérations importantes.
La commune invoque ensuite un risque de perturbation du régime d'écoulement des eaux. Elle explique que le terrain destiné à recevoir les déblais est en pente et que les eaux superficielles s'écoulent sur ce terrain même. Dans la mesure où la configuration du terrain se trouvera affectée, le terrain devenant plat, l'eau rentrera par les tuyaux prévus à ces fins par 4 l'entrepreneur, et se trouvera dirigée vers un petit ruisseau qui la drainera sur des terres labourables qui risqueront de ce fait d'être inondées.
Le risque afférent ne justifie cependant pas un refus inconditionnel de l'autorisation sollicitée, mais appelle l'autorité communale à prescrire des mesures destinées à éliminer le risque en question, sauf impossibilité prouvée d'éliminer le problème moyennant des mesures appropriées. Il y a lieu de mentionner, dans ce contexte, que dans son autorisation du 23 février 2001, le ministre de l'Environnement a expressément prévu que les matériaux devront être stockés de manière à ce que l'eau puisse s'écouler de manière superficielle.
La commune expose encore que le terrain donne sur une vallée et présente un panorama magnifique dont l'esthétique sera compromise par l'opération envisagée.
Le moyen tiré d'une atteinte à la beauté du site est à rejeter, la compétence afférente revenant, en zone verte, au ministre de l'Environnement, en vertu des dispositions de la loi du 11 août 1982, précitée.
La commune craint que les opérations de dépôt des déblais engendrent une augmentation du trafic et des dangers qui en sont la conséquence.
S'il est bien vrai que la question de la sécurité du trafic rentre dans les attributions du bourgmestre, celui-ci ne saurait, sauf impossibilité prouvée de contenir le problème du trafic dans des limites raisonnables moyennant des mesures appropriées, se baser sur l'existence de tels problèmes pour refuser l'autorisation sollicitée. Il y a lieu de relever, dans ce contexte, que la permission de voirie délivrée à la société … … … S.A. par le ministre des Transports le 14 mars 2001 prévoit des mesures destinées à limiter au minimum les nuisances dues à l'augmentation du trafic et à assurer la sécurité du trafic en relation avec l'accès au site.
La commune relève finalement que le site se trouve directement à côté du cimetière militaire allemand et qu'il engendre pour les quelque 70.000 visiteurs par an bruits, poussière et toutes autres sortes de nuisances.
L'argument présenté n'est à son tour pas de nature à emporter la conviction du tribunal, étant donné qu'au lieu de refuser l'autorisation, la commune aurait dû, sauf impossibilité prouvée, prescrire des mesures utiles pour éliminer ou limiter autant que possible les nuisances redoutées. Il y a lieu de souligner que les opérations de dépôt de matériaux ne sont pas destinées à perdurer au-delà de deux années. Par ailleurs, l'association …, première concernée, bien que dûment appelée en cause, n'a manifesté aucune opposition au projet. Bien au contraire, l'ambassade d'Allemagne, à travers une lettre de l'ambassadeur d'Allemagne du 7 juin 2001, a expressément marqué son accord avec l'opération.
Il suit des considérations qui précèdent que la décision implicite de refus du bourgmestre de la commune de Sandweiler, tirée du silence de plus de trois mois suite à la demande d'autorisation de remblai, n'est pas légalement motivée et encourt partant l'annulation.
Il y a lieu de débouter les demanderesses de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure, les conditions de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions de l’ordre administratif faisant défaut.
5 L'association …, bien que dûment appelée en cause, na pas déposé de mémoire.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant par défaut à l’égard de l’association … et contradictoirement à l’égard des autres parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare justifié, partant annule la décision implicite de refus du bourgmestre de la commune de Sandweiler, tirée du silence de plus de trois mois suite à une demande d'autorisation de remblai introduite le 6 mars 2001 et complétée le 17 avril 2001 par la société … … société en nom collectif, renvoie l’affaire devant le bourgmestre de la commune de Sandweiler, déboute les demanderesses de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure, condamne l’administration communale de Sandweiler aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 15 mai 2002 par:
M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani