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13/05/2002 | LUXEMBOURG | N°13932

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mai 2002, 13932


Tribunal administratif N° 13932 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 août 2001 Audience publique du 13 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du service d’imposition, section RTS, de l’administration des Contributions directes en matière de retenue d’impôt sur les traitements et salaires

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13932 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 août 2001 par Maître Laurent NIE

DNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, ...

Tribunal administratif N° 13932 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 août 2001 Audience publique du 13 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du service d’imposition, section RTS, de l’administration des Contributions directes en matière de retenue d’impôt sur les traitements et salaires

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13932 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 août 2001 par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un bulletin de retenue d’impôt émis par le bureau RTS Luxembourg I le 3 mai 1983 à son encontre pour une somme de 326.255.- francs due par la société à responsabilité limitée … au titre de la retenue d’impôts sur les salaires de 1978, 1979 et 1980 ainsi que des intérêts y relatifs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2002 par Maître Laurent NIEDNER au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Laurent NIEDNER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 février 2002.

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En date du 3 mai 1983 le bureau d’imposition RTS Luxembourg I a émis à l’encontre de Monsieur …, pris en sa qualité d’associé gérant de la société à responsabilité limitée …, ci-

après appelée « la société », ayant eu son siège social à …, un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », ci-après appelée « AO », pour le paiement de la somme de 326.255.-

francs à titre d’impôts sur les salaires qui auraient dus être retenus par la société pour les exercices 1978, 1979 et 1980, ainsi que des intérêts de retard y relatifs.

Après avoir fait l’objet d’une contrainte décernée en date du 12 février 1999 laquelle fut suivie d’une procédure d’exécution avec saisie mobilière, Monsieur … a fait introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes par courrier de son mandataire du 4 avril 2000 à l’encontre du bulletin prévisé du 3 mai 1983, en faisant valoir que le bulletin en question ne lui aurait jamais été notifié et que son mandataire n’en aurait obtenu une copie que vers la fin du mois de février 2000, lors d’une entrevue avec le préposé du bureau des poursuites. Dans le cadre de cette réclamation, il a soutenu qu’une inexécution fautive de ses obligations envers le fisc n’existerait pas en l’espèce.

Cette réclamation étant restée sans suite, il a fait introduire en date du 29 août 2001 un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation dudit bulletin d’appel en garantie du 3 mai 1983.

Le bulletin d’appel en garantie du 3 mai 1983 à l’encontre du demandeur étant assimilé, conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, à un bulletin d’impôt fixant une cote d’impôt en ce qui concerne le régime des voies de recours, le tribunal administratif a compétence pour connaître des contestations y relatives en tant que juge du fond.

En vertu des dispositions de l’article 8 (3), 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois, a le droit de déférer directement au tribunal le bulletin qui a fait l’objet de la réclamation.

Le délégué du Gouvernement a soulevé la question de la recevabilité du recours entrevue à partir du délai pour agir.

En cas de silence du directeur par rapport à une réclamation, il y a en effet lieu de vérifier d’abord si cette réclamation, introduite en l’espèce le 4 avril 2000, n’était pas tardive au regard des délais applicables.

En cas de contestation de la notification du bulletin d’impôt par le destinataire et faute de preuve par l’administration de la remise à la poste, la notification légale ne peut pas être considérée comme accomplie, sauf preuve contraire circonstanciée, de sorte que dans cette hypothèse le délai pour introduire une réclamation ne prend pas cours. (cf. trib. adm. 17 juin 1998, n° 10272 du rôle, Pas. adm 2001, V° Impôts, n° 229 et autres références y citées, page 270).

En l’espèce, le demandeur affirme n’avoir acquis connaissance du bulletin litigieux que vers la fin du mois de février 2000, lors d’une entrevue de son mandataire avec le préposé du bureau des poursuites. Dans la mesure où l’Etat reste de son côté en défaut d’établir, pièces à l’appui, que ledit bulletin fut effectivement porté à la connaissance de son destinataire avant cette date, il y a dès lors lieu de retenir, par application des principes ci-avant dégagés, que le recours sous examen n’a pas été introduit en dehors du délai pour agir.

Il s’ensuit que le recours en réformation introduit en date du 29 août 2001 est recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

La décision déférée a déclaré le demandeur codébiteur solidaire des retenues d’impôt sur les traitements et salaires, ainsi que des intérêts de retard y relatifs dus par la société pour les années 1992, 1993 et 1994 au motif que “ en vertu des §§ 103 et 108 de la loi générale des impôts (AO) vous êtes obligé en votre qualité d’associé-gérant de la société, de payer sur les fonds administrés les impôts, dont la société est redevable. En omettant de verser à l’administration des contributions les sommes retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, vous avez commis une faute engageant votre responsabilité personnelle (§ 109 AO), responsabilité qui continue à exister après la cessation de commerce de la société (§ 110 AO) ”.

A l’appui de son recours, le demandeur fait remarquer d’abord que le bulletin attaqué ne lui aurait jamais été notifié et que les sommes mises à sa charge seraient actuellement prescrites. Le moyen ainsi avancé n’est pas de nature à énerver la légalité ou le bien-fondé du bulletin déféré pour avoir trait au seul volet de l’exécution de la dette fiscale, lequel ne relève pas de la compétence du tribunal administratif.

Pour décliner sa propre responsabilité dans le non-paiement des impôts dus par la société, le demandeur fait valoir à l’appui de son recours que le gérant d’une société n’engagerait sa responsabilité personnelle que dans des cas exceptionnels et qu’en l’espèce les conditions d’application du paragraphe 118 AO ne seraient pas remplies.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’impôt est à retenir lors du paiement d’un salaire et à déclarer et verser dans la dizaine du mois qui suit, faute de quoi l’employeur serait fautif, sauf cessation des paiements intervenue dans l’intervalle. Comme la société n’agit que par son organe, la faute de la société coïnciderait en principe avec celle de son gérant, le paragraphe 118 AO se contentant à cet égard d’une faute simple et n’exigeant nullement une faute grave dans le chef du gérant.

Dans son mémoire en réplique le demandeur soutient qu’il n’y aurait dans cette matière aucune responsabilité automatique du gérant et qu’il appartiendrait au bureau d’imposition d’apprécier tant le degré fautif du comportement du tiers responsable contre lequel il entend engager des poursuites, que le choix du ou des co-débiteurs contre lesquels un appel en garantie est lancé en procédant selon des considérations d’équité et d’opportunité.

En vertu des dispositions de l’article 136 (4) L.I.R. l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que “ die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die den Personen, die sie vertreten, obliegen; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln, die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ”.

Il s’ensuit que le gérant en titre d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur, en sa qualité de gérant administratif de la société, a manqué à son obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO énoncé ci-avant en ce qui concerne les retenues d’impôt sur les traitements et salaires à effectuer par la société pour les années litigieuses.

Il n’en demeure cependant pas moins que le gérant d’une société ne peut être tenu personnellement responsable du non-paiement de ces impôts que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO qui dispose dans son alinéa (1) que: “ die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu unrecht gewährt worden sind ”.

Il se dégage de cette disposition légale que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité dans le chef d’un gérant de société, n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (schuldhafte Verletzung) des obligations du représentant de la société envers le fisc,(cf. trib.

adm. 18.10.99, n° 11055 du rôle, confirmé par Cour adm. 22.2.2000, n° 11694C du rôle, Pas.

adm. 2001, v° Impôts, n° 126 et autres références y citées).

Le paragraphe 7, (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée “ Steueranpassungsgesetz (StAnpG)”, disposant par ailleurs que “ Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldetet Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern ”, le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que “ Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ”, l’adminstration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision (cf. trib. adm. 18.10.1999 précité).

En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de gérant en titre de la société en relevant à l’appui de sa décision l’omission dans son chef de verser à l’administration des Contributions les sommes retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires.

Force est de constater que la décision litigieuse se limite à constater objectivement le manquement du demandeur à ses obligations fiscales, sans pour autant qualifier un quelconque comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières de l’espèce, rendant ainsi impossible toute vérification du caractère légal et réel des motifs à la base de la décision critiquée.

Dans la mesure où le contrôle de la légalité externe d’un acte doit précéder celui de son bien-fondé, il y a lieu de retenir en l’espèce que dans le cadre du recours en réformation, la décision déférée encourt l’annulation pour erreur de droit, alors que le bureau a méconnu à la fois les conditions de qualification de la responsabilité personnelle du gérant de société au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à sa propre compétence pour la mettre en oeuvre.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le dit justifié;

partant annule, dans le cadre du recours en réformation, le bulletin d’imposition déféré du 3 mai 1983 et renvoie l’affaire pour exécution devant le directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d’imposition compétent;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

met les frais à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 mai 2002 par:

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Spielmann, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13932
Date de la décision : 13/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-13;13932 ?

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