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10/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14863

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2002, 14863


Numéros 14863 et 14873 du Tribunal administratif rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 3 et 7 mai 2002 Audience publique extraordinaire du 10 mai 2002 Recours formé par Monsieur …, alias …, … contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de mise à disposition du gouvernement

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JUGEMENT

I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 14863 du rôle, déposée le 3 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal GRUMBERG

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo...

Numéros 14863 et 14873 du Tribunal administratif rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 3 et 7 mai 2002 Audience publique extraordinaire du 10 mai 2002 Recours formé par Monsieur …, alias …, … contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de mise à disposition du gouvernement

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JUGEMENT

I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 14863 du rôle, déposée le 3 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité capverdienne, demeurant à L-…, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Schrassig, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 26 avril 2002 ordonnant son placement, dans l’attente de son éloignement, au Centre Pénitentiaire à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2002;

II. Vu la requête, inscrite sous le numéro 14873 du rôle, déposée le 7 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal GRUMBERG au nom de Monsieur …, préqualifié, tendant à la réformation de l’arrêté prévisé du ministre de la Justice du 26 avril 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frédéric NOËL, en remplacement de Maître Eyal GRUMBERG, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2002.

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Comme suite à la demande afférente formulée par son épouse, Madame …, le ministre de la Justice délivra le 7 août 2001 une autorisation de séjour valable jusqu’au 31 juillet 2002 à Monsieur ….

En date du 24 septembre 2001, Monsieur … sollicita la délivrance d’une carte d’identité d’étranger en sa faveur.

Dans le cadre d’une perquisition effectuée le 18 octobre 2001 au domicile de Madame …, le service de police judiciaire de la police grand-ducale confisqua un passeport portugais falsifié établi au nom de Madame …, sa carte d’identité d’étranger et sa carte de sécurité sociale, tandis que son passeport capverdien et sa carte d’étranger portugaise furent saisis.

Suite à une demande afférente du même jour, le service de police judiciaire du ministère de la Justice portugais confirma par télécopie du 18 octobre 2001 l’authenticité de la carte d’étranger portugaise de Madame ….

Par rapport du 24 octobre 2001, émis dans le cadre de la demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger présentée le 24 septembre 2001 par Monsieur …, le commissaire en chef du commissariat de quartier Hollerich/Gare déclara qu’aucune sonnette ou boîte aux lettres aux noms de Monsieur … ou de son épouse n’aurait pu être trouvée à l’adresse indiquée dans la demande susvisée, qu’il n’aurait pu rencontrer aucun des époux lors d’un passage à cette même adresse et que l’employeur de Monsieur … lui aurait indiqué que Madame … ne se serait plus présentée au travail depuis plus de trois semaines, pour conclure qu’il se prononcerait contre l’émission d’une carte d’identité d’étranger en faveur de Monsieur ….

Suivant lettre recommandée du 4 décembre 2001 à l’adresse de Monsieur …, le ministre de la Justice attira son attention sur le fait qu’il n’avait pas donné de suites à plusieurs invitations de la police pour se présenter dans ses bureaux en vue de l’enquête à effectuer dans le cadre de sa demande en obtention d’une carte de séjour et lui enjoignit de s’y présenter endéans un mois sous peine de se voir refuser cette carte de séjour.

Par arrêté du 18 décembre 2001, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à Madame … et lui enjoignit de quitter le pays dès notification dudit arrêté aux motifs qu’elle aurait fait usage de pièces d’identité et de voyage falsifiés, qu’elle serait dépourvue de moyens d’existence personnels et qu’elle constituerait par son comportement personnel un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Le 21 décembre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande en obtention d’une carte de séjour, présentée le 24 septembre 2001, est rejetée aux motifs qu’il ne serait pas en possession de moyens d’existence personnels légalement acquis et que l’autorisation de séjour lui délivrée antérieurement aurait été basée sur la prétendue nationalité portugaise de son épouse, alors qu’il se serait révélé qu’elle a été en possession d’un passeport portugais falsifié.

Il ressort d’un procès-verbal du centre d’intervention de la circonscription régionale de Luxembourg de la police grand-ducale du 26 avril 2002 que :

« Am heutigen Tag führten Amtierende gegen 01.10 Uhr eine Identitätskontrolle in der Diskothek B. zu Luxemburg, (…) durch. Hierbei wurde der oben genannte Ausländer (le demandeur) gebeten sich auszuweisen, woraufhin er uns eine portugiesische Identitätskarte präsentierte. Indem wir Zweifel an der Echtheit dieses Dokumentes hatten, wurde derselbe zur Dienststelle verbracht. lm Büro wurde der Ausweis mit ultraviolettem Licht bestrahlt, wobei keine der üblichen Markierungen aufleuchtete. Des weiteren, fiel auf, dass die Kreuze welche sich zwischen den Namen befinden nicht die vorgeschriebene Form hatten.

Amtierende verbrachten die Identitätskarte sowie den Führerschein von … zu der Dienststelle Findel, welche mit speziellen Apparaten zum Erkennen von Dokumentfälschungen ausgestattet sind. Hier konnte man uns dann belegen, dass die Dokumente Totalfälschungen sind.

Der diensttuende Substitut S. wurde informiert und ordnete an, … zu verhaften und eine Mesure de Rétention gegen denselben auszustellen. Hierüber besteht Protokoll 50770 vom 26.04.2002. … wurde gegen 05.00 Uhr in die Strafanstalt zu Schrassig verbracht.

Es wurde ebenfalls Protokoll wegen Gebrauchmachens eines falschen Ausweises erstellt. Hierüber orientiert Protokoll 50771 vom gleichen Datum ».

Par arrêté du 26 avril 2002, le ministre de la Justice ordonna le placement du « soi-

disant … », en réalité de Monsieur …, dans l’attente de son éloignement, au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de cet arrêté qui eut lieu le jour-même. Cet arrêté est fondé sur les motifs suivants :

« Considérant qu'en date du 26 avril 2002, l'intéressé a été contrôlé par la Police Grand-Ducale ; - que l'intéressé était en possession d'une carte d'identité portugaise falsifiée ; - qu'il ne dispose pas de documents de voyage valables ; - qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ; - qu'il ne dispose pas de moyens d'existence personnels suffisants ; - que l'éloignement immédiat de l'intéressé n'est pas possible ;

Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l'intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son rapatriement ».

Il résulte d’un rapport de la section police des étrangers et des jeux du service de police judiciaire de la police grand-ducale du 30 avril 2002 que Monsieur … a décliné au Centre Pénitentiaire sa véritable identité et a affirmé que son passeport capverdien se trouverait au domicile de son épouse, mais que celle-ci aurait déclaré lors d’un passage des agents de la police qu’elle ignorerait la localisation dudit passeport.

A travers un courrier du 2 mai 2002, le ministre de la Justice s’adressa à l’ambassade du Cap-Vert à Luxembourg pour solliciter la délivrance d’un titre d’identité ou d’un laissez-

passer permettant le rapatriement de Monsieur … au Cap-Vert.

Par requête déposée le 3 mai 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de l’arrêté ministériel du 26 avril 2002 ordonnant son placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg.

Par une seconde requête déposée le 7 mai 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre le même arrêté ministériel du 26 avril 2002.

Etant donné que les deux recours ont été introduits par la même partie demanderesse et contestent une même décision administrative, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre pour y statuer par un seul et même jugement.

Le délégué du Gouvernement soulève à l’égard du recours en annulation introduit le 3 mai 2002 le moyen d’irrecevabilité tiré de la prévision d’un recours en réformation en la matière, entraînant qu’un recours tendant à la seule annulation de l’arrêté ministériel litigieux serait irrecevable.

L’article 15 (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, instaure un recours au fond en matière de décision de mise à disposition du gouvernement.

Si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité, et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et des délais dans lesquels le recours doit être introduit (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Djekic, et autres décisions y citées, Pas. adm. 2001, v° recours en réformation, n° 1). Il s’ensuit que le recours en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le second recours, tendant à la réformation dudit arrêté ministériel du 26 avril 2002 est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ses deux recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait voulu expliquer aux agents de la police, lors de son interpellation du 26 avril 2002, qu’il serait en possession d’un vrai passeport et qu’il se trouverait en situation régulière au pays, mais que ces derniers auraient refusé de faire droit à sa demande. Il renvoie à une copie de son passeport produite en cause et au visa lui délivré l’autorisant à séjourner au pays pour affirmer qu’il se trouverait effectivement en situation régulière. Le demandeur se prévaut également de son mariage avec Madame … depuis 21 ans et à sa cohabitation avec celle-ci à ….

Le délégué du Gouvernement rétorque que le demandeur ne se trouverait point en séjour régulier au pays, étant donné que la carte d’identité d’étranger lui aurait été refusée par décision du 21 décembre 2001 et que ce refus entraînerait pour lui de par la loi l’obligation de quitter le territoire. Le représentant renvoie également à l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 18 décembre 2001 émis par le ministre de la Justice à l’encontre de Madame … pour conclure que ce serait à juste titre que le ministre a décidé le placement du demandeur qui se trouverait dès lors en séjour irrégulier et aurait été en possession d’un document d’identité falsifié. Le délégué du Gouvernement ajoute que le placement du demandeur au Centre Pénitentiaire de Schrassig se justifierait au vu danger qu’il constituerait pour l’ordre et la sécurité publics.

Il se dégage de l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que, lorsque l'exécution d'une mesure d'expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l'étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d'un mois.

Il en découle qu'une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d'expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l'impossibilité d'exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que le placement de l’intéressé a été basé sur l’impossibilité d’exécuter immédiatement une mesure de refoulement.

Or, une mesure de refoulement peut être prise, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « … 1. qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 [de la loi précitée du 28 mars 1972];

4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5. qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Il convient donc, au vu du moyen du demandeur tendant à voir reconnaître son droit de séjourner au pays, de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif, et plus particulièrement du procès-verbal du centre d’intervention de la circonscription régionale de Luxembourg de la police grand-ducale du 26 avril 2002 que le demandeur avait présenté aux agents de la force publique une pièce d’identité falsifiée ayant créé l’apparence d’une fausse identité, fait par ailleurs non autrement contesté par le demandeur.

Afin de justifier néanmoins de son identité réelle et de son droit à séjourner au pays, le demandeur se prévaut à l’heure actuelle de son passeport capverdien et du visa Schengen y apposé par les autorités luxembourgeoises, l’autorisant à résider dans l’espace Schengen du 22 août 2001 au 31 juillet 2002. Or, force est au tribunal de constater d’abord que le demandeur n’a soumis ni aux agents de la police, ni au ministère de la Justice, ni au tribunal l’original de ce passeport, mais a seulement fait déposer une photocopie de ce document parmi les pièces à l’appui de son recours sous analyse, son mandataire ayant déclaré à l’audience qu’il ignore où ce passeport se trouverait à l’heure actuelle, de manière que l’authenticité de ce document n’est pas établie à suffisance de droit. S’y ajoute que, même en admettant l’existence d’un tel visa, ses effets ont été implicitement, mais nécessairement mis à néant par la décision du ministre de la Justice du 21 décembre 2001 portant rejet de sa demande en obtention d’une carte d’identité d’étranger – à l’encontre de laquelle aucun recours contentieux n’a été introduit d’après les éléments soumis au tribunal -, l’article 7 de la loi prévisée du 28 mars 1972 posant que le refus de la carte d’identité d’étranger entraîne pour l’étranger l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois.

Il s’ensuit que le demandeur se trouve dans la situation visée par l’article 12 n° 4 de la loi prévisée du 28 mars 1972, c’est-à-dire un défaut de papiers de légitimation et du visa prescrit au moment de la prise de l’arrêté déféré.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’existence du lien de mariage entre le demandeur et Madame …, étant donné que celle-ci a fait l’objet d’un arrêté du ministre de la Justice du 18 décembre 2001 lui refusant l’entrée et le séjour et lui enjoignant de quitter le pays sans délai et qu’il n’est pas établi, voire allégué en cause que cette décision a été annulée par le juge compétent ou a fait l’objet d’une mesure provisoire suspendant ses effets.

Il y a lieu d’ajouter à titre superfétatoire qu’un étranger qui présente aux agents de la force publique un titre d’identité falsifié et renseignant dans son chef une fausse identité doit être considéré comme étant susceptible de compromettre l’ordre public, de manière à justifier la prise d’une mesure de refoulement sur pied de l’article 12 n° 5 de la loi du 28 mars 1972.

Il résulte des développements qui précèdent que les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de l’arrêté ministériel litigieux du 26 avril 2002 laissent d’être fondés, de manière que les recours sont à rejeter comme n’étant pas fondés, le demandeur n’ayant pas contesté devant le tribunal l’impossibilité de l’exécution de la mesure de refoulement et les modalités de son placement.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, joint les deux recours inscrits sous les numéros 14863 et 14873 du rôle, reçoit les deux recours en la forme, au fond, les déclare non justifiés et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 10 mai 2002 par le premier juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14863
Date de la décision : 10/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-10;14863 ?

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