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08/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14092

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mai 2002, 14092


Tribunal administratif N° 14092 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2001 Audience publique du 8 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14092 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2001 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M.

…, né le … à Trijebine (Sjenica/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…,...

Tribunal administratif N° 14092 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2001 Audience publique du 8 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14092 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2001 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Trijebine (Sjenica/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 juillet 2001, lui notifiée le 10 août 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié, confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 24 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 février 2002 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sonja VINANDY, en remplacement de Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 13 octobre 1998, M. … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 30 avril, 7 et 18 mai 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 juillet 2001, notifiée le 10 août 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte du rapport du Service de la Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d’origine pour vous rendre en Bosnie. Un passeur vous aurait conduit au Luxembourg où vous êtes arrivé le 12 octobre 1998. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du lendemain de votre arrivée.

Vous exposez devant l’agent du Ministère de la Justice que votre père aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de 10 ans et qu’il serait décédé en 1995 dans une prison de Novi Pazar suite à des maltraitances. Votre mère serait décédée suite à une hémorragie cérébrale due aux maltraitances par des réservistes serbes qui seraient d’ailleurs venus très souvent chez vous.

Vous dites avoir été membre du parti SDA depuis le 1er mars 1992, parti dont vous auriez été le secrétaire de 1996 à 1997 à Sjenica. Vous auriez été emprisonné pour la première fois le 22 novembre 1993. Vous auriez été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans pour les mêmes faits que votre père (volonté de séparer le Sandzak de la Serbie, propagande, armement des musulmans). Vous expliquez que vous auriez été torturé en prison.

Vous ajoutez que vous auriez [été] arrêté une deuxième fois en date du 22 avril 1998 pour les mêmes motifs auxquels se serait encore ajouté le fait que vous n’ayez pas fait le service militaire à cause de vos études. Vous auriez été en prison jusqu’au 23 août 1998. Vous auriez de nouveau été maltraité et torturé, mais vous auriez profité d’une permission de sortie pour consulter un médecin pour vous enfuir.

Vous précisez également que vous auriez reçu un appel pour faire le service militaire en date du 12 mars 1999.

Enfin, vous expliquez que des paramilitaires serbes habiteraient votre maison à Sjenica et qu’ils n’auraient pas encore abandonné la recherche.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les contradictions et invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégrité de votre passé et quant au motif de fuite invoqué.

Ainsi, il ressort des recherches du Service de la Police Judiciaire que vous vous seriez rendu en Allemagne le 2 mars 1992 pour y demander le statut de réfugié. Votre demande aurait été rejetée irrévocablement en date du 16 avril 1997 et vous auriez quitté l’Allemagne en date du 22 avril 1998.

Il est improbable que vous seriez devenu membre du SDA le 1er mars 1992 pour partir le lendemain en Allemagne. Au vu de votre séjour prolongé en Allemagne, il en est de même avec votre allégation que vous auriez été le secrétaire du parti de 1996 et 1997. A noter que le certificat du SDA que vous produisez – dont l’authenticité n’est d’ailleurs pas établie – ne porte ni de sceau ni n’explique quelle aurait été votre fonction au sein dudit parti.

Votre premier emprisonnement en novembre 1993 est également contesté, alors que vous étiez en Allemagne à l’époque des faits. Le jugement du tribunal communal de Sjenica – dont vous ne communiquez d’ailleurs pas l’original – date du 21 novembre 1995 et ne saurait donc servir de base au susdit emprisonnement. D’ailleurs, la condamnation qui est retenue dans ce jugement est de cinq ans et six mois, et non de deux ans comme vous l’expliquez tout au long de l’audition devant l’agent du Ministère de la Justice et dans votre courrier du 4 février 1999, traduit par la Caritas.

Par ailleurs, il y a lieu de noter que l’authenticité du jugement n’est pas établie, alors qu’il s’agit d’un tribunal de Sjenica, mais que le tampon utilisé est de Novi Pazar, qui se situe à une cinquantaine de kilomètres de Sjenica.

Au vu de ce qui précède, l’emprisonnement du 22 avril 1998 au 23 août 1998 est tout aussi douteux. Il aurait dû commencer le jour même de votre départ d’Allemagne, ce qui ne ressort nullement de l’audition de l’agent du Ministère de la Justice. De plus, vous dites dans votre courrier du 4 février 1999 avoir été emprisonné le 21 avril 1998, donc à une époque que vous étiez encore en Allemagne. Cette contradiction dans les dates ressort également du rapport de l’agent du Ministère de la Justice (22 avril en haut de la page 4 du rapport, 21 avril en haut sur la page 6). Le rapport de la Police Judiciaire quant à lui retient la date du 22 avril 1998.

Une contradiction dans les dates existe également concernant l’année de décès de votre mère (1994 suivant votre courrier du 4 février 1999 ; 1993 selon vos déclarations devant l’agent du Ministère de la Justice à la page 2 du rapport et 1994 à la page 6 du même rapport).

Tel est encore le cas concernant la date de votre libération de prison en 1998. Ainsi, vous avez expliqué devant le Service de la Police Judiciaire que vous vous seriez enfui en date du 23 septembre 1998. Par contre, devant l’agent du Ministère de la Justice, vous avez dit vous être enfui le 23 août 1998 (en haute de la page 4 du rapport). Enfin, vous exposez dans votre courrier du 4 février 1999 que vous auriez quitté la prison « un soir d’août ».

Une contradiction dans les dates existe également concernant la date de l’arrestation de votre père : mai ou juin 1992 suivant le rapport de l’agent du Ministère de la Justice (page 3) respectivement juin 1993 suivant votre courrier du 4 février 1999.

Il faut également souligner que la carte d’identité que vous produisez a été établie le 4 mai 1998, donc pendant votre deuxième emprisonnement. Il est difficile de croire que l’établissement de cette carte ait pu se faire alors que vous étiez en prison.

Force est également de constater que vous restez en défaut d’apporter le moindre élément de preuve quant au rôle de votre père au sein de son parti politique, quant à l’emprisonnement et aux circonstances du décès de votre père respectivement de votre mère.

En ce qui concerne votre insoumission, il y a lieu de relever qu’elle est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Même à supposer que le jugement que vous produisez soit authentique et que la peine y retenue n’ait pas encore été purgée, il y a lieu de noter que cette peine n’est pas manifestement disproportionnée par rapport à la gravité objective des infractions commises.

Par ailleurs, la loi d’amnistie s’applique également à l’article 133 visé dans le jugement.

Le fait que des paramilitaires habitent dans votre maison à Sjenica n’est pas non plus de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 20 juillet 2001, M. … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire daté au 6 septembre 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 24 septembre 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 20 juillet et 24 septembre 2001 par requête déposée en date du 26 octobre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la région du Sandzak au Monténégro et qu’il appartiendrait à la minorité des musulmans slaves, à l’encontre desquels les autorités yougoslaves pratiqueraient une politique d’épuration ethnique. Il estime que les décisions déférées seraient le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit et qu’elles violeraient tant les traités internationaux en matière de réfugiés et de non-refoulement que les dispositions de droit interne. Il relève que le ministre aurait tort de mettre en doute sa crédibilité au sujet des persécutions que lui-même ainsi que ses parents auraient subies de la part des autorités serbes en raison de leur appartenance au parti politique d’opposition SDA, dont son père aurait été président et lui-même secrétaire, au motif que « ce n’est pas parce que le requérant, toujours fortement perturbé et traumatisé par les tortures subies en Yougoslavie, s’est trompé de date que son récit perdrait en crédibilité, car il ne saurait être contesté que ses parents sont décédés, même si en raison de sa condition psychique défaillante, le requérant n’avait pas été à même de se rappeler exactement la date de décès de la mère », qu’en mars 1992, il aurait passé 20 jours en détention préventive, qu’après son retour d’Allemagne où il se serait enfoui, il aurait été arrêté et emprisonné le 22 avril 1998 et torturé, qu’il aurait pu s’enfouir de la prison en août/septembre 1998 avec la complicité d’un médecin, qu’il aurait été condamné à 5 ans et demi de prison par le tribunal de Sjenica qui dépendrait de la circonscription judiciaire de Novi Pazar, que ses père et mère seraient décédés des suites des tortures et mauvais traitements des policiers serbes et qu’il souffrirait gravement de cet état de fait. Il ajoute qu’il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire et qu’il aurait refusé de donner suite à cette convocation parce qu’il aurait refusé de participer à la guerre du Kosovo, de sorte qu’il serait considéré comme insoumis et qu’il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire serbe et d’être condamné à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, cette peine risquant d’être d’autant plus grave en raison de son appartenance ethnique. Le demandeur fait encore ajouter que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation, étant donné qu’elle ne viserait pas le cas des insoumis, qui se sont réfugiés à l’étranger pour échapper à leurs obligations militaires. Concernant la situation générale dans son pays, il estime qu’il serait faux de soutenir qu’elle serait redevenue normale, mais que malgré un début d’amélioration, la situation resterait instable et dangereuse surtout pour les membres de minorités ethniques.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son appartenance à la minorité musulmane et au SDA, les tortures subies en raison de ses activités politiques et les traumatismes graves en raison de la perte de ses parents, ainsi que son insoumission, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 30 avril, 7 et 18 mai 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur les prétendus activités politiques du demandeur, ainsi que celles de son père, les prétendues persécutions subies par lui même et ses parents, ainsi que les décès de ses père et mère par suite des séquelles qui leur auraient été infligées par les Serbes, il convient en premier lieu de confirmer l’analyse du ministre de la Justice en ce que, eu égard à un certain nombre de contradictions flagrantes telles qu’inventoriées exhaustivement dans la décision du 20 juillet 2001 ci-avant libellée, il a, à bon droit, mis en doute la crédibilité des déclarations du demandeur. Dans ce contexte, il convient de relever plus particulièrement le fait que le demandeur s’est trouvé en Allemagne de mars 1992 à avril 1998, de sorte que ses affirmations relativement à ses activités politiques sont sérieusement ébranlées et qu’il est particulièrement singulier que le demandeur ait pu demander et obtenir la délivrance d’une carte d’identité (délivrée le 4 mai 1998) à une époque où, d’après son récit, il a prétendument été emprisonné en raison de ses activités politiques d’opposition.

Ceci étant, même en faisant abstraction de ces contradictions et en admettant que le demandeur ainsi que ses père et mère aient subi des persécutions de la part des autorités serbes, il échet de retenir que les faits allégués sont certes d’une gravité indéniable, mais ils remontent essentiellement à la première moitié des années 1990, voire à l’année 1998 et ils sont insuffisants pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans ou des opposants politiques. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

En ce qui concerne le motif tiré de l’insoumission de M. …, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, tout en incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires. – La même conclusion vaut pour ce qui est de l’exécution du jugement de condamnation de 1995 auquel le demandeur a fait référence, la condamnation y prévue tombant également dans le champ d’application de la loi d’amnistie.

Il convient encore d’ajouter qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 8 mai 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14092
Date de la décision : 08/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-08;14092 ?

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