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08/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14012

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mai 2002, 14012


Tribunal administratif N° 14012 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 septembre 2001 Audience publique du 8 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14012 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2001 par Maître Eric SUBLON, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né l

e … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à...

Tribunal administratif N° 14012 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 septembre 2001 Audience publique du 8 mai 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14012 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2001 par Maître Eric SUBLON, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2001, lui notifiée le 7 août 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié, confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 16 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Eric SUBLON en ses plaidoiries.

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Le 10 février 2000, M. … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 23 mai 2000, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 juillet 2001, notifiée le 7 août 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Luxembourg en novembre 1999. Après un bref séjour au Monténégro, vous auriez de nouveau quitté votre pays en date du 5 janvier 2000 pour vous rendre en Albanie, d’où un passeur vous aurait conduit en Italie. Vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 15 janvier 2000. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du 10 février 2000.

Vous exposez qu’à votre retour en novembre 1999, vous auriez été arrêté par la police serbe et par la police militaire. Vous auriez été interrogé pendant quatre heures et vous auriez même été frappé par un des policiers. Ils vous auraient ensuite retiré votre passeport.

Votre père vous aurait informé qu’en décembre 1999, la police militaire serait venue à deux reprises à votre domicile dans le but de vous emmener pour faire le service militaire. Vous ne savez pas quelle pourrait être l’éventuelle sanction de votre insoumission. Vous auriez de nouveau quitté votre pays pour ne pas devoir aller à l’armée et aussi du fait que vous êtes musulman. Votre peur de la police militaire et du pouvoir en place serait motivée par votre religion sans que vous ne donniez d’autres explications. Enfin, vous dites être membre du parti SDP.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Par ailleurs, la simple appartenance à un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Les autres motifs invoqués (arrestation par la police serbe et par la police militaire, interrogatoire, maltraitance à l’occasion de l’arrestation), même à supposer ces faits établis alors que votre retour au Monténégro paraît peu crédible, ne sont pas de nature à fonder une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 23 juillet 2001, M. … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 10 août 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 16 août 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 23 juillet et 16 août 2001 par requête déposée en date du 19 septembre 2001.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’il aurait quitté son pays parce que les « Serbes et Albanais ne parviennent pas à cohabiter, ce qui entraîne un sentiment d’insécurité très vif » et parce qu’il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire et qu’il aurait refusé de donner suite à cette convocation, de sorte qu’il serait considéré comme insoumis et qu’il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et d’être condamné à une peine de prison ainsi que de subir des mauvais traitements.

Sur ce, il estime avoir fait valoir des craintes justifiées de persécution notamment en raison de son insoumission et de la situation générale régnant dans son pays d’origine et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par respectivement le ministre de la Justice et le demandeur aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 23 mai 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Ensuite, en ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité musulmane du Monténégro, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, mis à part des craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, formulées en des termes très vagues et non circonstanciés, de sorte qu’ils ne constituent en substance que l’expression d’un sentiment général de peur insuffisant pour justifier une crainte légitime de persécution, le demandeur n’a fait état – lors de son audition - que d’un seul fait concret, à savoir le fait qu’en novembre 1999, lors de son retour en Yougoslavie, il aurait été arrêté et interrogé par la police, au sujet de son séjour à l’étranger et des raisons de son départ et qu’à cette occasion il aurait été frappé par un policier. S’il est vrai qu’un tel fait constitue certainement, à le supposer vrai, une pratique condamnable, il n’en reste pas moins qu’il ne dénote pas une gravité telle qu’il établisse, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine du demandeur, étant entendu qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas établi qu’il ne peut pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-ci ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 8 mai 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14012
Date de la décision : 08/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-08;14012 ?

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