La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14174

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2002, 14174


Tribunal administratif N° 14174 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 novembre 2001 Audience publique du 6 mai 2002

===============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14174 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2001 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité albanaise, demeurant ac...

Tribunal administratif N° 14174 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 novembre 2001 Audience publique du 6 mai 2002

===============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14174 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2001 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 août 2001, notifiée en date du 8 octobre 2001, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 5 novembre 2001, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu la lettre du 12 novembre 2001 de Maître Philippe STROESSER, déposée le 13 novembre 2001 au greffe du tribunal administratif, par laquelle il informe le tribunal de ce que son mandant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2002 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Philippe STROESSER déposé au greffe du tribunal administratif pour compte du demandeur le 7 mars 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Philippe STROESSER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 avril 2002.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 17 novembre 2000, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 9 mars 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 10 août 2001, notifiée le 8 octobre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 16 novembre 2000.

Vous exposez avoir travaillé pour le parti « Legaliteti » en tant qu’activiste et coursier. Vous auriez également fait de la propagande pour le parti et participé à l’organisation de réunions.

Vous expliquez que la police aurait essayé de vous arrêter à deux reprises en raison de votre travail pour le parti. La police vous aurait accusé d’avoir tenté un putsch et d’avoir organisé des manifestations illégales.

Force est cependant de constater que la vie politique s’est stabilisée dans toute l’Albanie, qu’il y a notamment eu un rapprochement entre le gouvernement et les partis d’opposition au courant de l’année 1999. Une persécution systématique de membres de l’opposition de la part du régime actuellement en place est à exclure.

La police albanaise est actuellement épaulée par des forces de police en provenance de pays de l’OSCE afin d’augmenter son efficacité. L’engagement dans la police albanaise est essentiellement soumis au critère de neutralité politique.

Vous restez en défaut de prouver que la police vous aurait recherché pour des motifs politiques. En outre, le fait que la police aurait tenté de vous arrêter à deux reprises, à supposer ce fait établi, ne saurait justifier l’octroi du statut de réfugié.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 26 octobre 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 10 août 2001.

Par décision du 5 novembre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 14 novembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 10 août et 5 novembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Burrel en Albanie et qu’il aurait été activiste au sein du parti politique « Legaliteti », attaché aux idéaux de liberté et de démocratie, chargé de la propagande et de la gestion de réunions politiques.

Dans ce contexte, il aurait participé à des réunions et à des manifestations des « légalistes » à l’occasion de l’arrivée du roi Zog I en Albanie et plus particulièrement à une manifestation en date du 3 juillet 1997 à Tirana, lors de laquelle il se serait fait repérer par les services secrets albanais. Le demandeur se prévaut en outre du fait que plusieurs membres de sa famille auraient été persécutés politiquement par le régime communiste et il renvoie à deux attestations émises par l’Association des Persécutés Politiques Anti-Communistes d’Albanie respectivement par le Parti du Mouvement de la Légalité, branche du PML MAT. Finalement le demandeur affirme que la police aurait essayé de l’arrêter à deux reprises ce qui l’aurait incité à quitter son pays d’origine pour le Luxembourg.

En droit, le demandeur estime que la décision ministérielle serait illégale « en ce sens qu’aucune base légale ne motive la possibilité pour une autorité administrative luxembourgeoise de déclarer une demande d’asile irrecevable, alors qu’elle préjuge au fond ».

En second lieu, le demandeur estime encore que la décision serait illégale en ce qu’elle n’aurait pas respecté la pratique administrative en vigueur au Grand-Duché de Luxembourg, au motif que la commission consultative prévue par le règlement ministériel du 15 octobre 1992 n’aurait pas été saisie du dossier.

Finalement, le demandeur estime que la décision attaquée est à annuler en raison d’une erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le ministre de la Justice serait seul juge de l’opportunité de la saisine de la commission consultative, saisine qui ne serait cependant pas obligatoire.

Concernant le moyen tiré de l’affirmation qu’aucune autorité administrative luxembourgeoise n’aurait la possibilité de déclarer une demande d’asile irrecevable, il échet de constater que ce reproche n’est pas justifié en fait alors que le ministre de la Justice, dans sa décision du 10 août 2001, confirmée sur recours gracieux par décision du 5 novembre 2001, a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié du demandeur comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996. Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

Concernant le moyen d’incompétence tiré de la non-saisine de la commission consultative pour les réfugiés tel qu’instituée par règlement ministériel du 15 octobre 1992, il convient de rappeler que depuis la loi précitée du 3 avril 1996 la commission consultative pour les réfugiés a une existence légalement consacrée. Or, aux termes de l’article 3 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996, le ministre de la Justice peut soumettre à la commission pour avis un dossier individuel constitué à l’occasion d’une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. C’est dès lors à juste titre que le délégué du Gouvernement a soulevé que la saisine de ladite commission constitue une simple faculté pour le ministre, de sorte que le moyen tiré de la non-saisine de cette commission est également à écarter.

Concernant le bien-fondé de la demande d’asile, il ressort de l’article 1er section A, 2.

de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, et sans qu’il soit encore nécessaire de recourir à une nouvelle audition du demandeur en présence d’un traducteur-interprète assermenté, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 9 mars 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de représailles à son encontre, mais il reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place se livrent actuellement à des actes de violences à l’encontre d’opposants politiques, étant entendu que le seul fait concret dont Monsieur … fait état, à savoir son appartenance au parti politique « Legaliteti » n’est pas de nature à justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié politique. A part la simple allégation que la police aurait tenté de l’arrêter à deux reprises, le demandeur n’a pas établi le moindre fait de persécution personnelle, de sorte que les craintes de persécution dont il fait état en raison de la situation générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait encore actuellement intolérable dans son pays d’origine.

Quant à l’argument tiré par le demandeur de son appartenance à une famille de persécutés, force est de constater que les attestations versées établissent certes des persécutions subies par des membres de la famille du demandeur sous le régime communiste, mais ne permettent cependant pas de conclure utilement à l’existence d’une crainte justifiée de persécution dans son chef dans le contexte politique actuel.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire , reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

. Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14174
Date de la décision : 06/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-06;14174 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award