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06/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14074

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2002, 14074


Numéro 14074 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2001 Audience publique du 6 mai 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de refugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14074 du rôle, déposée le24 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître

Linda FUNCK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou...

Numéro 14074 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2001 Audience publique du 6 mai 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de refugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14074 du rôle, déposée le24 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Linda FUNCK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 juillet 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 septembre 2001, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Linda FUNCK et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2002.

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Le 20 mars 2000, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 8 décembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 17 juillet 2001, notifiée en date du 8 août 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 7 septembre 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 24 septembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre les deux décisions ministérielles des 17 juillet et 24 septembre 2001 par requête déposée le 24 octobre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de la région du Sandzak et de confession musulmane, fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine après avoir reçu une convocation pour l’armée yougoslave et qu’il risquerait partant, en cas de retour, de subir des répressions de la part des autorités militaires qui seraient toujours dirigées par des groupes pro-serbes et d’être plus particulièrement condamné à une lourde peine de prison pour avoir refusé de participer à une guerre meurtrière. Il soutient que « la haine interethnique entre les différents communautés » subsisterait encore à leur actuelle, de manière qu’il craindrait à juste titre de subir des discriminations, voire des persécutions en raison de son appartenance religieuse. Il ajoute qu’il serait venu au Luxembourg en tant que mineur et que son père, divorcé de sa mère, aurait également dû d’enfuir en raison de son insoumission, de manière que lui même n’aurait pas de famille dans son pays d’origine chez laquelle il pourrait se loger et qu’il risquerait d’être privé d’un emploi et partant de moyens de subsistance.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 8 décembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant l’appartenance du demandeur à la minorité musulmane et sa crainte de persécution en découlant, il y a lieu de relever d’abord que la seule appartenance à une minorité ethnique ou religieuse est insuffisante pour établir à elle seule une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de cette appartenance. S’y ajoute que les traitements et discriminations auxquels le demandeur se réfère n’émanent pas exclusivement des autorités publiques mais également de groupes de la population. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur se réfère d’une manière générale à l’insécurité caractérisée et au risque de maltraitances à l’encontre de la minorité musulmane, mais reste en défaut d’établir qu’il risque individuellement de faire l’objet de discriminations ou de maltraitances, voire qu’il a concrètement recherché la protection de la part des autorités publiques, ainsi que, le cas échéant, un refus éventuel d’une telle protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Enfin, il convient d’ajouter que le moyen du demandeur tiré de l’absence de famille dans son pays d’origine chez laquelle il pourrait se loger et du risque d’être privé de moyens de subsistance ne saurait avoir une incidence quant au bien fondé de sa demande d’asile, seul objet du présent litige, étant donné qu’il s’agit de considérations d’ordre matériel et économique qui ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention et ne constituent partant pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 11 janvier 2001, Avdyli-Gashi, n° 12631C du rôle, non encore publié).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14074
Date de la décision : 06/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-06;14074 ?

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