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06/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14023

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2002, 14023


Numéro 14023 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2001 Audience publique du 6 mai 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14023 du rôle, déposée le 25 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tab

leau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité y...

Numéro 14023 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2001 Audience publique du 6 mai 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14023 du rôle, déposée le 25 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2002 par Maître François MOYSE pour compte de Monsieur …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie à l’audience publique du 18 février 2002.

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Le 17 mai 2001, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 20 juin 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 23 juillet 2001, notifiée en date du 28 août 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 23 juillet 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 25 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur reproche d’abord au ministre le non-respect de l’obligation légale de motivation lui incombant en ce que la motivation contenue dans la décision critiquée du 23 juillet 2001 serait « purement stéréotypée » et ne ferait « que reprendre d’autres décisions rendues à l’égard d’autres requérants en obtention du statut de réfugié politique », de manière à ne pas être individuelle et ne pas préciser les faits de l’espèce sur lesquels la décision critiquée serait fondée.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée du 23 juillet 2001 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. L’appréciation de la réalité des motifs figurant dans les décisions ministérielles litigieuses relève de l’examen au fond de la justification desdites décisions.

Quant au fond de sa demande d’asile, le demandeur se prévaut de persécutions en raison de sa religion musulmane et suite à son refus d’accomplir son service militaire et de participer à la guerre au Kosovo « afin de ne pas trahir sa religion et tuer ses frères de sang », sa participation en tant que musulman à des opérations de nettoyage ethnique contre la minorité musulmane devant être considérée comme moralement impossible. Il fait valoir plus particulièrement que suite à un premier refus de rejoindre l’armée, il aurait été maltraité et forcé à accomplir son service militaire, qu’il aurait quitté son pays afin d’éviter une nouvelle convocation pour l’armée et qu’il serait dès lors considéré comme insoumis dans son pays d’origine. Il conclut que son insoumission l’exposerait au risque d’encourir une lourde peine d’emprisonnement qui devrait être qualifiée de persécution au vu des conditions carcérales dans son pays d’origine et qu’elle devrait entraîner son admission au statut de réfugié, alors qu’il aurait été contraint de prendre part à des opérations militaires allant à l’encontre de ses propres convictions politiques, morales ou religieuses et condamnées par la communauté internationale. Le demandeur soutient que, dans la mesure où l’insoumission constituerait une infraction continuée perdurant jusqu’à la présentation devant les autorités compétentes, la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave, faisant bénéficier de l’amnistie y décrétée les seules infractions commises jusqu’au 7 octobre 2000, ne protégerait pas de poursuites les insoumis et déserteurs n’ayant pas répondu après le 7 octobre 2000 à l’appel pour l’armée dont il auraient fait l’objet auparavant, de sorte que ladite loi d’amnistie serait inefficace à son égard et ne le mettrait pas à l’abri d’une condamnation pénale. Le demandeur affirme que les minorités ethniques seraient encore actuellement souvent la cible d’actes violents et discriminatoires de la part de la population majoritaire et que la situation politique ne pourrait toujours pas être considérée comme étant stable, de manière que cette « persécution non-gouvernementale », par ailleurs reprise par une proposition de directive communautaire sur la protection des réfugiés, devrait être reconnue comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 20 juin 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait une infraction continue et échapperait de ce fait au champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà. Par ailleurs l’affirmation que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie est démentie par le Haut Commissariat pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux dites personnes (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, non encore publié).

Concernant l’appartenance du demandeur à la minorité musulmane et sa crainte de persécution en découlant, il y a lieu de relever d’abord que la seule appartenance à une minorité ethnique ou religieuse est insuffisante pour établir à elle seule une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de cette appartenance. S’y ajoute que les traitements et discriminations auxquels le demandeur se réfère n’émanent pas exclusivement des autorités publiques mais également de groupes de la population. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur se réfère d’une manière générale à l’insécurité caractérisée et le risque de maltraitances à l’encontre de la minorité musulmane, mais reste en défaut d’établir qu’il risque individuellement de faire l’objet de discriminations ou de maltraitances, voire qu’il a concrètement recherché la protection de la part des autorités publiques, ainsi que, le cas échéant, un refus éventuel d’une telle protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14023
Date de la décision : 06/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-06;14023 ?

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