La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2002 | LUXEMBOURG | N°14016

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2002, 14016


Tribunal administratif N° 14016 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2001 Audience publique du 2 mai 2002

==============================

Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14016 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son é...

Tribunal administratif N° 14016 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2001 Audience publique du 2 mai 2002

==============================

Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14016 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Bérane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …a …, ainsi qu’au nom de leur enfant majeur Madame … …, née le … à Bérane, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mai 2001, notifiée le 10 juillet 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, telle que confirmée sur recours gracieux par une décision du même ministre du 16 août 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2002 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie HAGER, en remplacement de Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 22 juin 1999, Monsieur … ainsi que son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …a … ainsi que Madame … …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… ainsi que Madame … … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En dates respectivement des 25 juin 1999 et 6 mars 2001, les époux …-… ainsi que Madame … … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 17 mai 2001, notifiée le 10 juillet 2001, le ministre de la Justice informa les consorts …-… ainsi que Madame … … que leur demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : « Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1978/1979 et que vous avez été appelé de nombreuses fois à la réserve. Vous auriez quitté votre pays pour éviter d’aller faire la guerre. Vous pensez risquer des sanctions. Vous dites encore n’avoir été membre d’aucun parti politique. Vous ne faites état d’aucun acte de persécution.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari et vous ajoutez que votre maison risque d’avoir été détruite.

Quant à vous, Mademoiselle, vous expliquez avoir suivi vos parents et vous confirmez leurs dires. Vous ajoutez que vous avez peur de faire l’objet d’un viol, comme d’autres jeunes filles de votre pays.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

D’ailleurs, une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République yougoslave au mois de février 2001.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Je constate donc que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 17 mai 2001, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 7 août 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice datant du 16 août 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 17 mai et 16 août 2001 par requête déposée en date du 21 septembre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées pour autant qu’elles ont refusé de faire droit à la demande d’asile des demandeurs. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable pour autant que ledit volet déféré est concerné.

Le recours est par ailleurs à déclarer sans objet dans la mesure où il est dirigé contre une prétendue décision portant invitation adressée aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois, en ce que ni la décision précitée du 17 mai 2001 ni celle confirmative du 16 août 2001 ne contiennent une telle décision et qu’il ne ressort par ailleurs d’aucun autre élément du dossier qu’une telle décision ait été prise à l’encontre des demandeurs.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Monténégro et qu’ils appartiendraient à la minorité des musulmans slaves, à l’encontre desquels les autorités yougoslaves pratiqueraient une politique d’épuration ethnique. Ils estiment que le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique serait le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit en cause et ils font valoir plus particulièrement à cet égard que c’était face à la terreur de la « politique criminelle [de] purification ethnique » dans leur pays d’origine qu’ils auraient préféré quitter leur pays et se réfugier à l’étranger. Ils relèvent en outre que Monsieur … aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire « en vue de sa mobilisation pour le KOSOVO » et qu’il se serait dérobé à cet appel, de sorte qu’il serait considéré comme insoumis et qu’il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire serbe et d’être condamné à une peine de prison disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, ceci « eu égard surtout à son appartenance à une minorité ethnique et religieuse ». Les demandeurs font encore valoir que l’insoumission de Monsieur … aurait été motivée par des raisons de conscience impérieuses ayant consisté à refuser le service « sous les drapeaux de l’oppresseur serbe pour participer à des violences contre des civils musulmans », de sorte que cet acte rentrerait sous les prévisions de la Convention de Genève et que la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission devrait être considérée en soi comme une persécution. Les demandeurs font ajouter que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à garantir Monsieur … contre un risque de condamnation, étant donné qu’elle ne viserait pas le cas des insoumis, qui se sont réfugiés à l’étranger pour échapper à leurs obligations militaires. Dans ce contexte, ils font état d’articles parus dans le journal « Vesti », d’un avis juridique d’un juriste yougoslave et du cas d’un déserteur monténégrin qui aurait été arrêté et emprisonné postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs expriment encore des doutes quant à l’impartialité des juges yougoslaves qui seraient « soumis à la pression du gouvernement et à la corruption », de sorte à ce que ceux-ci n’auraient pas nécessairement une « volonté réelle » d’appliquer à la lettre la nouvelle loi d’amnistie. Enfin, ils soutiennent que ce serait à tort que le gouvernement estimerait que la situation politique en Yougoslavie se serait considérablement modifiée depuis l’élection d’un nouveau président, en remplacement de Monsieur MILOSEVIC et ils estiment que la situation politique n’y aurait pas vraiment changé et qu’ils seraient toujours exposés, en cas de retour dans leur pays d’origine, à de nouvelles persécutions de la part « des nationalistes et extrémistes omniprésents ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les trois comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur … risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, tout en incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant les articles du journal « Vesti » ainsi que l’avis juridique invoqué par les demandeurs pour soutenir leurs doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie, il y a lieu de retenir que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés est au contraire d’avis que les termes mêmes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux personnes en question (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, non encore publié).

Concernant ensuite les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance à la minorité des musulmans slaves, force est de constater que si la situation générale des membres des minorités ethniques en Yougoslavie est certes difficile, il n’est cependant pas établi qu’elle serait telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, les demandeurs se réfèrent essentiellement au climat politique général dans leur pays d’origine sans apporter des éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle, de sorte qu’une crainte de persécution afférente laisse d’être établie dans leur chef.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare sans objet le recours dans la mesure où il est dirigé contre une prétendue décision portant invitation adressée aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois ;

reçoit le recours en réformation en la forme pour autant que dirigé contre le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 2 mai 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14016
Date de la décision : 02/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-02;14016 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award