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02/05/2002 | LUXEMBOURG | N°13995

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2002, 13995


Tribunal administratif N° 13995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2001 Audience publique du 2 mai 2002

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13995 du rôle, déposée le 14 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yo...

Tribunal administratif N° 13995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2001 Audience publique du 2 mai 2002

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13995 du rôle, déposée le 14 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 avril 2001, notifiée le 8 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 9 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Laurent HARGARTEN, en ses plaidoiries.

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Le 9 novembre 1998, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut en outre entendu en date du 9 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur …, par lettre du 23 avril 2001, notifiée en date du 8 juin 2001, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Vous exposez que vous auriez fait le service militaire de 1996 à 1997 au Kosovo et que la guerre aurait éclaté deux mois avant la fin de votre service. Vous auriez normalement dû vous présenter au bureau de recrutement de votre village après l’accomplissement du service, mais vous ne l’auriez pas fait de peur d’être appelé de nouveau sous les drapeaux. Vous précisez que lors de votre service vous auriez été provoqué par des Serbes parce que vous êtes musulman. En dehors de l’armée vous n’auriez cependant pas eu de problèmes à cause de votre religion. Vous craindriez d’être condamné à une peine d’emprisonnement parce que vous ne vous seriez pas présenté au bureau militaire et parce que tous les hommes auraient eu l’obligation d’aller en guerre. De plus, vous dites que si vous deviez retourner dans votre pays, vous seriez tout de suite enrôlé à la réserve. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les provocations dont vous faites état ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l'ONU et à l'OSCE.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Par lettre du 6 juillet 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 avril 2001.

Par décision du 9 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 septembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des décisions ministérielles précitées des 23 avril et 9 août 2001.

Il convient de relever que l’Etat, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d'instance du demandeur, n'a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le demandeur aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Le demandeur conclut à l’annulation des décisions incriminées des 23 avril et 9 août 2001 dans la mesure où elles ont été signées « pour le ministre de la Justice », ladite mention étant suivie d’une signature et de la mention « attaché de gouvernement », sans qu’il lui aurait été possible de vérifier l’identité exacte du signataire desdites décisions. Il aurait ainsi été dans l’impossibilité, d’une part, de vérifier si le signataire desdites décisions aurait effectivement eu la qualité d’attaché de gouvernement, de sorte à ne pas pouvoir vérifier la légalité des décisions en question et, d’autre part, d’analyser si le fonctionnaire en question disposait bien d’une délégation de signature l’habilitant à signer les décisions afférentes.

En vertu de l’article 2 de l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 2000 concernant les délégations de signature par le Gouvernement « les délégations de signature sont écrites et formelles (…) ». Par ailleurs, l’article 3, alinéas 1er et 3 du même arrêté grand-ducal, dispose que « une expédition de toute délégation de signature est déposée avec un spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, au ministère d’Etat (…). Toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut en obtenir connaissance ».

Un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000 n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’arrêté précité (v. en ce sens trib.

adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Actes administratifs, II.

Contenu formel d’une décision administrative, n° 41, p. 26 et autres références y citées).

Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur reproche au signataire des décisions critiquées de ne pas avoir indiqué ses nom et prénom dans la formule de signature apposée sur les décisions sous analyse.

Il échet tout d’abord de relever que le demandeur ne conteste pas que les décisions critiquées des 23 avril et 9 août 2001 ont été signées par Monsieur Jean-Paul REITER, en sa qualité d’attaché de gouvernement, en indiquant comme formule de signature « pour le ministre de la Justice, attaché de gouvernement ».

Il n’est en outre pas contesté que Monsieur REITER bénéficiait, au moment de la signature des prédites décisions, d’une délégation de signature émise par le ministre de la Justice, en vertu de laquelle il était autorisé à signer les décisions émises en matière de statut de réfugié politique.

Il est vrai qu’un administré peut avoir intérêt à vérifier l’identité de la personne ayant signé la décision lui adressée, notamment afin d’être en mesure d’examiner si la personne en question avait pouvoir de ce faire et qu’en tant que personne justifiant d’un intérêt légitime pour prendre connaissance d’une éventuelle délégation de signature émise en faveur du signataire de la décision en question, il est autorisé, sur base de l’article 3, alinéa 3 de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000, à prendre inspection de l’éventuelle délégation de signature auprès des services du ministère d’Etat.

Par ailleurs, le demandeur n’ayant pas précisé en quoi il y aurait violation de l’article 3 de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000, le tribunal n’a pas à prendre position par rapport au moyen tiré d’une prétendue violation dudit texte réglementaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que ce moyen est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Le demandeur reproche encore au ministre de la Justice de lui avoir notifié les décisions incriminées en français, partant dans une langue qui lui serait incompréhensible et qu’il y aurait partant une violation des droits de l’homme.

Il y a toutefois lieu de rejeter ce moyen, étant donné qu’un demandeur d’asile ne saurait se plaindre de ce que les décisions ministérielles de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique sont rédigées en français, langue qui lui serait incompréhensible, étant donné qu’en vertu de la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues, le français est l’une des trois langues officielles du Grand-Duché de Luxembourg, en matière administrative, contentieuse ou non contentieuse, ainsi qu’en matière judiciaire et qu’il n’existe aucun texte de loi spécial obligeant le ministre de la Justice à faire traduire ses décisions dans une langue compréhensible pour le destinataire (cf. trib. adm. 12 mars 1997, n° 9679 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, I. Réfugiés, B) Questions de procédure, n° 17 et autres références y citées).

Dans la mesure où le demandeur critique encore les décisions déférées en ce que le ministre lui aurait à tort refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique, sans toutefois indiquer en quoi le ministre aurait violé la loi ou commis une erreur d’appréciation des faits, le tribunal est dans l’impossibilité de vérifier si le ministre de la Justice a exercé ses pouvoirs d’appréciation conformément à la loi, en l’absence d’une quelconque indication fournie par le demandeur dans sa requête introductive d’instance et au cours des plaidoiries quant aux faits qui devraient établir sa persécution ou son risque de persécution au sens de la Convention de Genève et partant le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport au fond de l’affaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties à l’instance;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 2 mai 2002 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13995
Date de la décision : 02/05/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-02;13995 ?

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