La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/04/2002 | LUXEMBOURG | N°14184

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 00 mai 2002, 14184


Tribunal administratif Numéro 14184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2001 Audience publique du l5 mai 2002 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14184 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 21 septembre 1972 à Belgrade (Serbie/Yougoslavie)

, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de sa fille mineure …, ...

Tribunal administratif Numéro 14184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2001 Audience publique du l5 mai 2002 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14184 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 21 septembre 1972 à Belgrade (Serbie/Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de sa fille mineure …, née le…, toutes les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 août 2001, notifiée le 28 août 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre datant du 9 octobre 2001 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 avril 2002.

Le 21 mai 2001, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de sa fille mineure…, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 25 mai 2001, Madame … fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 8 août 2001, notifiée le 28 août 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs que dans la ville de Belgrade, comme dans toutes les capitales, il y aurait un mélange de populations et d’ethnies, de sorte qu’il serait invraisemblable qu’elle y fasse l’objet de persécutions en tant que musulmane et en tant que mère d’un enfant serbe. Le ministre estime par ailleurs que les menaces et représailles dont Madame … prétendait avoir fait l’objet seraient vraisemblablement dues à des problèmes d’ordre privé avec les personnes qu’elle fréquentait et ne sauraient fonder une crainte de persécution au sens de l’article 1er A, 2. de la Convention de Genève, de même que les problèmes familiaux par elle invoqués, à les supposer établis, ne sauraient pas non plus fonder une crainte raisonnable de persécution au sens de ladite convention.

Le recours gracieux introduit par courrier de son mandataire datant du 28 septembre 2001 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 8 août 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 9 octobre 2001, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles de refus des 8 août et 9 octobre 2001 par requête déposée en date du 15 novembre 2001 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, Madame …, de confession musulmane et mère d’un enfant de père serbe orthodoxe, fait exposer qu’elle aurait été sujette dans son pays d’origine à des persécutions dont le caractère insupportable se serait matérialisé non seulement par des harcèlements téléphoniques anonymes, des menaces, des insultes, le bris de vitres de son appartement, mais aussi par l’assassinat de l’un de ses oncles et de l’un de ses cousins. Elle estime que sa situation individuelle serait dès lors telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que si la présence d’une force d’interposition internationale ne serait pas contestée, ces forces n’apparaîtraient cependant pas dans la réalité comme constitutives d’un gage valable pour assurer un niveau de protection suffisant et qu’il apparaîtrait candide et prématuré d’accepter de considérer que l’avènement d’un nouveau président prétendument démocratiquement élu serait de nature à modifier radicalement et positivement une donnée toujours très complexe marquée par des antagonismes passés et leur lot toujours actuel d’exactions impunies perdurant avec l’aval, sinon dans l’indifférence des autorités en place, l’ensemble de ces circonstances faisant que le sort d’une femme seule, de confession musulmane et ayant donné naissance à un enfant de père serbe orthodoxe resterait marqué par un risque de persécution possible de la part de tous les groupes de la population, ce qui exclurait également toute éventualité d’une relocalisation interne.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Madame … lors de son audition en date du 25 mai 2001, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les persécutions invoquées par la demanderesse à l’appui de son recours, même à les supposer établies, ne sauraient pas valoir comme motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. En effet, ces persécutions émanent non pas de l’Etat mais de différents groupes de la population, de manière à ne pouvoir être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. trib. adm. 22 mars 2000, Dzogovic, n° du rôle 11659, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 32, p. 134).

En l’espèce, la demanderesse reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le gouvernement yougoslave ne serait pas en mesure de lui offrir une protection appropriée.

Il ressort de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du l5 mai 2002:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14184
Date de la décision : 30/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-05-00;14184 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award