Tribunal administratif N° 14422 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2002 Audience publique du 29 avril 2002
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Recours formé par Madame …, … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice, du Travail et de l’Emploi, ainsi que de celui de la Famille en matière d’autorisation de séjour
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14422 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2002 par Maître Mathias PONCIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité ukrainienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision émanant du ministre de la Justice, du ministre du Travail et de l’Emploi, ainsi que du ministre de la Famille datant du 20 septembre 2001, notifiée le 7 octobre 2001, par laquelle la demande en obtention d’une autorisation de séjour lui fut refusée, ainsi que d’une décision confirmative des mêmes ministres du 24 octobre 2001 intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2002;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2002 par Maître Mathias PONCIN au nom de Madame … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Mathias PONCIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2002.
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Madame …, de nationalité ukrainienne, réside de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis l’année 1999.
En date du 21 mai 2001, elle formula une demande en obtention d’une autorisation de séjour couchée sur un formulaire afférent établi par les « ministère du Travail et de l’Emploi, ministère de la Justice, ministère de Famille, Zone d’activité « Cloche d’Or », 5, rue G. Kroll, L-2941 Luxembourg ». Le service commun desdits ministères accusa réception de cette demande en date du 24 juin 2001.
Par décision du 20 septembre 2001, signée par le ministre de la Justice d’une part et le ministre du Travail et de l’Emploi d’autre part, Madame … s’est vue refuser l’autorisation de séjour sollicitée, au motif que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.
l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.
Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.
Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour (…) ».
Par courrier de son mandataire datant du 22 octobre 2001, Madame … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée. Les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi confirmèrent leur décision du 20 septembre 2001 par courrier datant du 24 octobre 2001.
Par requête déposée en date du 11 janvier 2002, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 20 septembre et 24 octobre 2001.
QUANT AU RECOURS EN REFORMATION Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.
Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 6, et autres références y citées).
Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.
QUANT AU RECOURS EN ANNULATION Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, la demanderesse conclut d’abord à l’annulation des décisions déférées pour excès de pouvoir dans le chef du ministre du Travail et de l’Emploi, étant donné que ce dernier n’aurait aucune compétence pour accorder ou refuser une autorisation de séjour, la compétence afférente appartenant au ministre de la Justice.
En l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de la dite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique.
La signature du ministre du Travail et de l’Emploi apposée à côté de celle du ministre de la Justice n’est cependant pas de nature à mettre en échec cette dernière, voire de relativiser la compétence en la matière du ministre de la Justice qui, à travers sa signature, a pleinement exercé son pouvoir de décision en la matière.
Elle fait valoir ensuite que les cas de refus énumérés à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, dont notamment celui de l’absence de moyens personnels suffisants invoqué par le ministre à l’appui des décisions déférées, ne seraient pas de rigueur, mais que ledit article laisserait au ministre un pouvoir d’appréciation souverain dans la mesure où il dispose que l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront être refusés. La demanderesse estime que le ministre compétent ne devrait en effet pas nécessairement et automatiquement refuser l’autorisation, la condition de la possession de moyens d’existence propres n’étant pas une condition sine qua non entraînant de plein droit un refus, mais illustrant seulement un cas où le ministre peut, mais ne doit pas nécessairement refuser l’autorisation en se basant sur son pouvoir d’appréciation souverain.
La demanderesse reproche en outre aux décisions déférées de ne pas être suffisamment motivées.
Force est de constater que les décisions critiquées indiquent clairement que l’autorisation de séjour a été refusée à la demanderesse au motif qu’elle ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir et que cette motivation a été utilement complétée, au cours de la procédure contentieuse, par le délégué du Gouvernement, lequel a précisé que la demanderesse ne disposerait pas de moyens d’existence légalement acquis au Luxembourg, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre de la Justice a pu se baser sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée pour rejeter sa demande d’autorisation de séjour.
Il s’ensuit que le reproche d’un défaut de motivation ou d’une motivation insuffisante n’est pas fondé.
La demanderesse conclut en outre à l’annulation des décisions déférées pour violation de la loi en faisant valoir que le ministre aurait ajouté à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 une condition qui n’y est pas prévue, à savoir celle de la possession de moyens d’existence personnels suffisants « indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir ». Elle estime que dans la mesure où cette condition restrictive n’est pas prévue par le texte de la loi, le ministre ne saurait valablement l’invoquer pour refuser de faire droit à une demande en obtention d’une autorisation de séjour.
Dans un autre ordre d’idées, la demanderesse fait valoir que les décisions déférées ont été prises dans le cadre de la procédure dite de régularisation sur base des critères retenus par le Gouvernement et renseignés dans une brochure intitulée « Informations Pratiques Pour Personnes Concernées » et que les décisions déférées devraient encore être annulées pour violer les critères que le Gouvernement s’est lui-même imposés en la matière. Elle signale plus particulièrement à cet égard être entrée au pays au courant de l’année 1999, résider depuis la même époque auprès de la famille de Monsieur … et travailler depuis la fin de l’année 1999 dans le ménage de cette famille, ainsi qu’aider depuis la même époque Monsieur … dans l’exécution de sa profession d’entrepreneur de jardinage en contrepartie d’une rémunération effective de 300 Luf par heure prestée. Elle relève en outre que face au refus essuyé auprès du Centre commun de la sécurité sociale de se faire affilier par la famille …, elle s’est affiliée elle-même, sur base de ses études, à titre indépendant, dans la profession de conseil en agro-
alimentaire. Elle signale en outre qu’au-delà de la rémunération touchée, elle aurait bénéficié de la mise à disposition d’un logement ainsi que d’autres avantages donnés en nature de la part de la famille ….
Le délégué du Gouvernement rétorque d’abord que la signature du ministre de la Justice ne serait pas énervée dans sa régularité par la co-signature d’un autre membre du Gouvernement, en l’occurrence le ministre du Travail et de l’Emploi. Il soutient ensuite qu’il ressortirait clairement du dossier administratif que la demanderesse ne dispose pas de moyens d’existence légalement acquis au Luxembourg, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre a pu se baser sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée pour rejeter sa demande d’autorisation de séjour. Par ailleurs, s’agissant d’une faculté réservée au ministre de la Justice, il soutient que le tribunal administratif ne saurait en aucun cas dépasser le simple cadre du contrôle de la légalité de la décision et en contrôler l’opportunité.
Quant à l’exigence de moyens d’existence personnels et à l’absence afférente de prise en considération de l’aide financière procurée par des tiers, ainsi que de la condition selon laquelle les moyens d’existence doivent être légalement acquis, le représentant étatique se réfère à une jurisprudence constante et afférente des juridictions administratives.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse précise que sa demande, à la base des décisions déférées, n’aurait pas tendu à l’obtention d’une autorisation de séjour, mais aurait constitué une demande de régularisation dans le cadre de la décision du Gouvernement de procéder à la régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement au pays et que pour présenter cette demande elle se serait basée sur la brochure « Régularisation » émanant du service commun des ministères du Travail, de la Justice et de la Famille, laquelle énoncerait en guise d’introduction que « le Gouvernement a décidé de procéder à la régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national » tout en précisant par ailleurs que cette régularisation « s’opère conformément aux dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 ». Elle en déduit que ce serait un non sens pur et simple d’exiger que les moyens d’existence invoqués à la base d’une demande de régularisation soient légalement acquis, étant donné que toute la procédure de régularisation viserait par définition des catégories d’étrangers en situation irrégulière.
Elle fait valoir ensuite qu’à travers l’édiction de règles permettant aux étrangers de régulariser leur situation et d’obtenir une autorisation de séjour et/ou de travail, le Gouvernement aurait mis en place une directive gouvernementale pour ses services, laquelle devrait être appliquée de la même façon à tous les étrangers en situation irrégulière compte tenu du principe élémentaire de droit de l’égalité de tous devant la loi. Dans la mesure où elle remplirait les conditions énoncées respectivement sous les points A) et B) de la brochure « Régularisation », elle estime dès lors que c’est à tort que le ministre de la Justice a refusé de faire droit à sa demande.
Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusées à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » En consacrant au dernier tiret dudit article la notion de « moyens personnels suffisants », le législateur a investi l’autorité compétente en la matière d’un pouvoir d’appréciation étendu. En effet, la notion de moyens suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour est une notion relative, par essence évolutive dans le temps pour être étroitement liée notamment au coût de la vie, entrevu à partir des fluctuations et disparités du coût du logement suivant la nature et la situation géographique du lieu d’implantation choisi, de sorte que l’autorité investie du pouvoir de décision en la matière est appelée à se livrer à une appréciation concrète du caractère suffisant des moyens personnels dont dispose un étranger déterminé, suivant l’approche concrètement arrêtée face aux flux migratoires extra-
communautaires compte tenu notamment de la situation économique du pays.
Confronté à des décisions relevant ainsi d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, doit se limiter à contrôler si la décision lui déférée n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, sans pouvoir substituer à l’appréciation de l’autorité administrative sa propre appréciation sur base de considérations d’opportunité.
Dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir de contrôle de la légalité de la décision déférée, le juge peut vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis, étant entendu que cette dernière faculté est limitée au cas où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. Cour adm. 21.3.2001, n° 14261C du rôle, non encore publié).
En l’espèce, Madame … a présenté à l’appui de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour du 21 mai 2001 un contrat de travail à durée indéterminée conclu en date du 1er mai 2001 avec l’entreprise … pour un poste d’ouvrière à occuper normalement à raison de 8 heures par jour et rémunéré sur base d’un « traitement initial brut fixé à 300.-
francs par heure (…) sous déduction des retenues légales relatives aux charges sociales et fiscales ».
Encore que le revenu mensuel ainsi escompté sur base de ce contrat de travail puisse le cas échéant être considéré comme étant de nature à assurer à la demanderesse des moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, force est de constater qu’il se dégage des pièces versées au dossier qu’en vue d’occuper le poste en question, Madame … et Monsieur … ont introduit en date du 21 mai 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille une « déclaration d’engagement tenant lieu de demande en obtention du permis de travail », mais que par décision du 30 mai 2001, non attaquée par la voie contentieuse, le ministre du Travail et de l’Emploi a refusé l’autorisation de travail ainsi sollicitée aux motifs suivants :
« - recrutement à l’étranger non autorisé ;
- poste de travail non déclaré vacant ;
- priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) ;
- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place ».
Or, dans la mesure où l’article 26 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée dispose qu’aucun étranger ne pourra être occupé sur le territoire du Grand-Duché sans permis de travail, cette décision du 30 mai 2001 fait en l’espèce obstacle à l’exécution légale et régulière du contrat de travail invoqué à l’appui de la demande en obtention d’une autorisation de séjour, de sorte que la rémunération y fixée n’a pas pu être considérée, au jour de la prise de la décision litigieuse, comme ayant été à la disposition de la demanderesse.
En effet, l’exigence que les moyens personnels du demandeur en autorisation soient légalement acquis, comprise par le ministre, d’après les précisions afférentes fournies en cause, en ce sens que l’occupation du travailleur étranger ait reçu l’aval légalement requis du ministre du Travail et de l’Emploi, est inhérente à la notion même de moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, étant donné que la nécessaire précarité de revenus provenant d’une occupation irrégulière fait que par essence ces revenus ne sauraient être considérés comme suffisants au sens de la loi, faute de présenter une quelconque garantie au niveau de leur perception à l’avenir.
Dans la mesure où la rémunération initialement escomptée à travers le contrat de travail versé au dossier constitue la contrepartie d’un travail régulier à prester, cette rémunération ne peut en tout état de cause pas non plus être considérée comme constitutive d’une aide matérielle ou d’un secours financier de tierces personnes, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus en avant les développements afférents de la demanderesse, ni le motif de refus basé sur ces mêmes considérations.
Au-delà de ces considérations tenant à l’application directe en l’espèce de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, la demanderesse entend tirer argument du fait qu’à travers la brochure intitulée « Régularisation du 15.3 au 13.7. 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », versée au dossier et établie par le service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, le Gouvernement aurait édité des critères particuliers en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, lesquels seraient inconciliables avec l’exigence de moyens personnels légalement acquis sous le couvert d’un permis de travail valable.
S’il est certes vrai qu’à travers la brochure « Régularisation » et la médiatisation étendue afférente, le Gouvernement a formellement et publiquement fait part de son intention de régulariser pour l’avenir certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national, il n'en demeure cependant pas moins que cette procédure de régularisation, faute d’avoir été consacrée dans une loi spéciale dérogatoire au droit commun en la matière, ne saurait en tout état de cause se mouvoir que dans le cadre des dispositions légales applicables en matière d’entrée et de séjour des étrangers, la brochure en question de préciser par ailleurs expressément à cet égard que la régularisation « s’opère conformément aux dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère ».
Il s’ensuit que les critères retenus et publiquement annoncés par le Gouvernement dans le cadre de la campagne de régularisation ne sauraient être valablement invoqués ni par les autorités administratives respectivement compétentes, ni par un justiciable étranger dans le cadre d’un litige ayant pour objet une décision de refus d’octroi d’une autorisation de séjour, que dans la mesure où ces critères s’inscrivent dans le cadre légal en la matière et ne font qu’en préciser le contenu à travers notamment une définition concrète et politiquement à jour de la notion litigieuse de moyens personnels suffisants.
En effet, seul le législateur étant habilité à modifier ses propres lois, ni le Gouvernement pris dans son ensemble, ni ses membres respectifs pris individuellement ne peuvent valablement édicter des critères dérogatoires à la loi, sous peine d’excéder leur pouvoir et d’empiéter sur une compétence réservée au pouvoir législatif.
En l’espèce la demanderesse soutient qu’eu égard aux critères énoncés dans la brochure « Régularisation », le ministre ne pourrait plus refuser l’octroi d’une autorisation de séjour au motif que les revenus d’une occupation salariée ne sont pas légalement acquis en ce sens notamment que l’exercice de l’activité projetée laisse d’être couvert par une autorisation de travail valable, sous peine de violer les principes de la confiance légitime, ainsi que de l’égalité devant la loi.
Si le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi invoqué par la demanderesse doit certes être compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, il n’en demeure pas moins que le traitement préconisé par application de ce principe ne peut pas excéder le cadre légal applicable en la matière concernée et que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, ne saurait étendre son contrôle à des considérations de pure opportunité dépourvues de base légale, fussent-elles énoncées dans un document rendu public, ayant abouti à l’octroi d’une autorisation de séjour à d’autres étrangers en situation similaire lorsque la décision de refus déférée n’excède pas par ailleurs le cadre légal tracé en la matière.
Dans la mesure où il est constant que, d’un côté, la loi permet au ministre de refuser une autorisation de séjour au motif tiré du défaut de moyens personnels suffisants légalement acquis et que, d’un autre côté, aucun texte légalement obligatoire n’a opéré une restriction par rapport à cette possibilité légale de refus dans le chef de l’autorité compétente, il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé, ceci au-delà de toute question pouvant se poser par ailleurs au niveau de la responsabilité de l’Etat qui, tel que soutenu en cause, aurait par son comportement trompé la confiance légitime d’un administré en l’induisant en erreur à travers l’annonce d’une expectative dépourvue de base légale, étant donné que cette question échappe en tant que telle à la compétence des juridictions administratives pour s’analyser en une appréciation de l’attitude de l’Etat et non en une question de légalité d’une décision administrative soumise au tribunal dans le cadre d’un recours en annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 avril 2002 par :
Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Lenert 8