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25/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13999

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2002, 13999


Tribunal administratif N° 13999 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2001 Audience publique du 25 avril 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13999 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2001 par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie HURBAIN, avocat, les deux inscrits au tableau d

e l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nati...

Tribunal administratif N° 13999 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2001 Audience publique du 25 avril 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13999 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2001 par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie HURBAIN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mai 2001, lui notifiée le 10 juillet 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié, confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 16 août 2001 ;

Vu la lettre déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2002 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Stéphanie HURBAIN, informant le tribunal de ce qu’il assurait la défense du demandeur en remplacement de Maître Jos STOFFEL ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie HURBAIN en ses plaidoiries.

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Le 13 avril 1999, M. … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 août 1999, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 mai 2001, notifiée le 10 juillet 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en date du 8 avril 1999 pour vous rendre en Serbie. Un passeur vous a conduit au Luxembourg sans que vous puissiez fournir d’indications concernant le trajet. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du 13 avril 1999.

Vous exposez qu’en avril 1999, vous auriez reçu un appel à la réserve. Vous l’auriez cependant refusé. Vous pensez à présent être traduit devant le tribunal militaire et être condamné à une peine d’emprisonnement. Vous auriez quitté votre pays à cause de la situation et à cause de l’appel à la réserve. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 22 mai 2001, M. … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 6 août 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 16 août 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 22 mai et 16 août 2001 par requête déposée en date du 14 septembre 2001.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et qu’il aurait habité près de la frontière entre le Monténégro, la Serbie et le Kosovo, qu’il serait de confession orthodoxe, qu’il aurait effectué son service militaire en 1988/1990, qu’en avril 1999, il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire et qu’il aurait refusé de donner suite à cette convocation, de sorte qu’il serait considéré comme insoumis et qu’il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et d’être condamné à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, que son insoumission serait motivée par son refus de participer à la guerre du Kosovo, dirigée contre ses compatriotes. Il ajoute encore qu’il craindrait des représailles de la population serbe de son village et des Serbes en général, étant donné qu’il serait « notoire que les populations de confession orthodoxe résidant en Yougoslavie ont subi d’atroces exactions de la part des autorités serbes du fait de leur religion » [sic] et il relève que la situation générale au Monténégro resterait instable et dangereuse.

En droit, il conclut en premier lieu à l’annulation des décisions critiquées au motif que le délai de deux mois prévu par l’article 10 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire n’aurait pas été respecté par le ministre de la Justice, sa demande datant du 13 avril 1999 et la décision initiale de refus n’ayant été prise qu’en date du 22 mai 2001.

En ordre subsidiaire, il estime avoir fait valoir des craintes justifiées de persécution notamment en raison de son insoumission et de son appartenance religieuse et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par respectivement le ministre de la Justice et le demandeur aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Sur ce, il convient en premier lieu d’écarter le moyen d’annulation basé sur la prétendue violation de l’article 10 (1) de la loi précitée du 3 avril 1996 pour manquer de fondement, étant donné que la durée du délai d’instruction de la demande n’a non seulement pas été préjudiciable pour le demandeur, de sorte qu’il ne saurait être de nature à entraîner la nullité de la procédure menée et des décisions ministérielles déférées, mais encore surtout parce que ladite disposition n’est pas applicable en l’espèce, le ministre n’ayant ni déclaré la demande en reconnaissance du statut de réfugié « irrecevable » ni encore « manifestement infondée » au sens des articles 8 et 9, par renvoi de l’article 10, de ladite loi, mais qu’il l’a refusée comme étant « non fondée » au sens de l’article 11 de la même loi.

Concernant le deuxième volet du recours, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 13 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Ensuite, abstraction faite de ce que les craintes de persécution invoqués par le demandeur à l’encontre des Serbes en raison de son appartenance à la religion orthodoxe sont incompréhensibles, le tribunal est amené à conclure que les craintes en raison de la confession du demandeur et de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 avril 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13999
Date de la décision : 25/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-25;13999 ?

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