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25/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13736

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2002, 13736


Tribunal administratif N° 13736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2001 Audience publique du 25 avril 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13736 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom

de M. …, né le …. à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalem...

Tribunal administratif N° 13736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2001 Audience publique du 25 avril 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13736 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le …. à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 avril 2001, notifiée le 6 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 25 juin 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Gilbert REUTER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 juin 1999, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 8 juin 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 avril 2001, notifiée le 6 juin 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en date du 31 mai 1999. Vous êtes arrivé au Luxembourg le 7 juin 1999 en passant par la Bosnie, la Croatie et la Slovénie. Vous ne pouvez pas donner d’autres indications concernant le trajet. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du jour de votre arrivée.

Vous exposez que la police militaire serait venue pour vous emmener à l’armée en date du 22 mai 1999, mais que vous auriez été absent. Vous auriez par ailleurs refusé d’aller en guerre contre votre peuple. Vous précisez que vous auriez quitté votre pays d’origine parce que vous êtes recherché pour ne pas être allé à l’armée. Vous risqueriez d’être traduit devant le tribunal militaire. Vous ajoutez que vous auriez subi des différences de traitement à cause de votre religion, mais vous ne donnez pas d’autres explications. Votre peur de la police militaire, de la guerre et des bombardements serait légalement motivée par votre confession musulmane. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Par ailleurs, les différences de traitement que vous invoquez, même à les supposer établies, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 20 juin 2001, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 avril 2001.

Par décision du 25 juin 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 juillet 2001, M. … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 avril et 25 juin 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane, c’est-à-

dire une minorité religieuse au Monténégro, où il aurait résidé à Bérane, qu’il aurait une « extrême peur de rentrer » en raison du fait que, suite à son refus de donner suite à une convocation pour le service militaire, il serait recherché par la police militaire, qu’il risquerait d’être maltraité et condamné à une peine de prison et ceci en dépit de la loi d’amnistie qui aurait été votée en Yougoslavie. Il fait ajouter qu’il craindrait même pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il fait état d’une agression physique qu’il aurait subie à cause de sa religion musulmane et de sa peur de rentrer dans son pays d’origine, qui serait justifiée par le fait que d’autres musulmans et, plus particulièrement, des demandeurs d’asile, qui seraient retournés en Yougoslavie, auraient subi des mauvais traitements.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition en date du 8 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de M. …, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la loi d’amnistie ne serait pas systématiquement appliquée, étant donné qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Concernant le second motif de persécution allégué par le demandeur, il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les allégations du demandeur ne sont non seulement contradictoires en ce que dans son recours contentieux, il fait état d’une prétendue agression par des Serbes en raison de sa religion, alors que lors de son audition du 8 juin 1999, il n’a pas fait état d’un tel fait, mais il a simplement déclaré avoir « senti le traitement différent [des musulmans], mais [ne pas avoir eu] plus de problèmes que d’autres » mais en outre, même abstraction faite de cette contradiction, les allégations du demandeur relativement à sa crainte en raison de son appartenance à la minorité musulmane sont très vagues et non autrement circonstanciées et elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 avril 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13736
Date de la décision : 25/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-25;13736 ?

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