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24/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13615

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 avril 2002, 13615


Tribunal administratif N° 13615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2001 Audience publique du 24 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour

g, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, ...

Tribunal administratif N° 13615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2001 Audience publique du 24 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 novembre 2000, notifiée le 16 février 2001, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 21 mai 2001, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 avril 2002.

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Le 20 avril 1999, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut de nouveau entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi en date du 26 juillet 1999.

Monsieur … fut ensuite entendu en date du 23 mars 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 novembre 2000, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Vous relevez avoir reçu un appel pour effecteur le service militaire auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous ajoutez que vos parents auraient été expulsés de leur domicile par la police serbe et que la maison aurait été incendiée. Vous auriez par ailleurs peur des Albanais. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le conflit est terminé et une situation de paix s’est établie dans votre région. L’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution telle qu’énoncée à la prédite Convention.

Enfin, les autres faits que vous relevez (expulsion du domicile, incendie), même à les supposer établis, et votre peur des Albanais ne sont pas non plus de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 16 mars 2001, Monsieur … introduisit par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 6 novembre 2000.

Par décision du 21 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 21 juin 2001, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées du 6 novembre 2000 et 21 mai 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Dans son recours contentieux, le demandeur soutient que la décision confirmative du ministre de la Justice du 21 mai 2001 ne serait pas suffisamment motivée malgré des éléments nouveaux invoqués par le demandeur dans le cadre de son recours gracieux et plus particulièrement que la décision du 21 mai 2001 n’aurait pas pris en considération le fait que le demandeur ferait partie de la minorité musulmane dite « bochniaque », qui serait persécutée par les Albanais.

Ce moyen d’annulation n’est cependant pas fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé de la décision ministérielle du 6 novembre 2000 que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur, y compris des motifs visant ses origines ethniques et les prétendues persécutions en résultant.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 21 mai 2001 ne contient pas de motivation propre, étant donné qu’en l’absence d’éléments nouveaux – les seuls éléments portés à la connaissance du ministre par le recours gracieux se limitant à décrire plus en détail les prétendues persécutions des musulmans originaires du Kosovo déjà portés à sa connaissance par l’audition du demandeur en date du 23 mars 2000, lesdites précisions ne faisant référence à aucun fait nouveau - le ministre a pu, à bon droit, se borner à renvoyer à la décision initiale, les deux décisions entreprises ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.

Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter sans qu’il ne soit nécessaire d’instituer une expertise ou de procéder par une mesure d’instruction complémentaire.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’il ferait partie de la minorité dite «bochniaque » du Kosovo et qu’il aurait quitté sa région natale en raison de la guerre, de sa religion et de sa peur d’être convoqué par l’armée fédérale yougoslave en vue de l’accomplissement de son service de réserve. Le demandeur expose avoir reçu une convocation le 5 mai 1998 pour faire son service militaire mais qu’il se serait réfugié au Monténégro chez son oncle. Début 1999 il aurait quitté son pays d’origine pour Francfort où il aurait présenté une demande d’asile politique qui aurait été refusée, de sorte qu’il aurait été contraint de quitter l’Allemagne pour la Croatie où il aurait séjourné pendant quelques jours en prison. Le demandeur aurait quitté une deuxième fois son pays d’origine en raison du fait que toute sa famille aurait été expulsée par la police serbe et que sa maison aurait été incendiée. Pour le surplus, comme il fait partie de la minorité musulmane des «bochniaques », il aurait peur des Albanais du Kosovo qui voudraient « se venger sur tout le monde ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 23 mars 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que, dans la région du Kosovo, le demandeur n’a pas, à l’heure actuelle, de raisons de craindre une persécution de la part des autorités serbes.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à son égard en raison de sa prétendue appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des mauvais traitements ou des discriminations de la part de membres de la population albanaise du Kosovo, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, aucun fait concret et circonstancié de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place n’ayant été allégué ni, a fortiori, établi en cause.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale. Il convient d’ajouter relativement au motif fondé sur la prétendue insoumission de Monsieur …, particulièrement dans l’optique d’une possibilité de fuite interne, qui implique l’obligation pour Monsieur … de se replacer sous l'autorité des organes fédéraux yougoslaves, que l’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait à elle seule fonder dans le chef de Monsieur … une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que la condamnation que Monsieur … risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d'ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 avril 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13615
Date de la décision : 24/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-24;13615 ?

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