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22/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13998

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2002, 13998


Numéro 13998 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13998 du rôle, déposée le 14 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né…, de na...

Numéro 13998 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13998 du rôle, déposée le 14 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né…, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 30 mai 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 9 août 2001, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 janvier 2002.

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Le 4 décembre 2000, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 17 janvier 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 30 mai 2001, notifiée par courrier recommandé du 25 juin 2001 faute par Monsieur … de s’être présenté en personne, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 19 juillet 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 9 août 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre les deux décisions ministérielles des 30 mai et 9 août 2001 par requête déposée le 14 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été depuis l’année 1994 membre du parti politique « Legalitetit » favorable à une monarchie en Albanie, qu’il aurait participé aux réunions de ce parti et plus particulièrement à celles précédant le référendum pour le retour du roi ayant eu lieu en juin 1997 et qu’il aurait été plusieurs fois emmené au poste de police en novembre 1997 et deux fois en 1998 pour y être frappé en raison de sa participation à des manifestations dudit parti. Le demandeur se prévaut de l’assassinat en sa présence de l’un de ses amis par un groupe masqué ayant dressé un barrage sur la route. Le demandeur fait valoir qu’après avoir recruté des gens pour participer à des manifestations de protestation, il aurait reçu à quatre reprises des lettres anonymes écrites probablement par des militants du parti socialiste. Il relève également son « contexte familial difficile » au vu de son appartenance à une famille déjà persécutée sous l’ancien régime communiste et renvoie aux trois convocations devant le tribunal de Tirana lui adressées pour comparaître devant cette juridiction comme prévenu pour avoir participé au cours de l’année 1999 à une manifestation appelée le « mouvement du 14 septembre », ces convocations constituant à son avis la preuve du caractère politique des persécutions dont il ferait l’objet. Concernant la situation générale dans son pays d’origine, le demandeur estime que les deux principaux partis du pays, après avoir envisagé un rapprochement après les dernières élections, s’affronteraient à nouveaux par tous les moyens et que des vengeances et des règlements de comptes encore régulièrement lieu à l’égard d’opposants au parti socialiste.

A titre subsidiaire, le demandeur s’empare de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour soutenir que dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en matière de statut de réfugié, le ministre devrait tenir compte de son droit au respect de sa vie privée et familiale et vérifier l’existence d’une telle vie familiale effective.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 17 janvier 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant l’assassinat d’un ami du demandeur par un groupe armé, aussi tragique que cet événement a pu être vécu par le demandeur, il n’est pas établi que cette mise à mort soit fondée sur une persécution pour l’une des raisons énoncées par la Convention de Genève plutôt que le résultat d’une criminalité de droit commun.

Concernant ensuite l’engagement politique du demandeur et ses problèmes en découlant avec la police, ainsi que plus particulièrement la convocation pour comparaître en tant que prévenu devant le tribunal de Tirana, force est de constater que s’il résulte certes de la copie et de la traduction anglaise de la convocation émise le 12 octobre 2000 par le tribunal de Tirana que le demandeur est cité devant cette juridiction pour le 23 octobre 2000 pour être entendu en tant que prévenu « about the « 14 September » evenst », il ne se dégage cependant ni de cette pièce, ni d’une autre pièce versée par le demandeur quelles sont les accusations exactes portées à son encontre. Le demandeur a déclaré lors de son audition que cette convocation lui aurait été adressée parce qu’il aurait participé aux manifestations du 14 septembre 1999 qui se seraient terminées en émeutes, mais qu’il ignorerait ce qui lui serait concrètement reproché. Or, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le demandeur est poursuivi du seul fait d’avoir extériorisé ses convictions politiques à travers sa participation à cette manifestation plutôt que du chef d’une autre infraction sans aucun lien avec une persécution au sens de la Convention de Genève, commise dans le cadre de sa participation à ladite manifestation, ces faits sont insuffisants pour établir dans le chef du demandeur la subsistance à l’heure actuelle d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant au moyen tiré par le demandeur de son appartenance à une famille de persécutés sous l’ancien régime communiste, force est de constater que si l’attestation de l’association des ex-persécutés politiques du 7 décembre 2000, également versée en cause, établit certes les persécutions subies par le demandeur et la famille de sa mère sous le régime communiste avant l’arrivée au pouvoir du parti démocrate en 1992, elle ne permet cependant pas de conclure utilement à l’existence d’une crainte justifiée de persécution dans son chef dans le contexte politique actuel.

En ce qui concerne les lettres anonymes reçues par le demandeur en relation avec son engagement politique au sein du parti Legalitetit imputées par le demandeur à des militants du parti socialiste, la crainte afférente du demandeur s’analyse en une crainte de persécution émanant de groupements indépendants des autorités publiques, étant donné que ces documents n’émanent pas des autorités étatiques albanaises ou d’agents en dépendant. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s ; Cour adm. 30 janvier 2001, Hajdarpasic, n° 12483C, Pas. adm. 2001, v° Etrangers, n° 32, p. 134).

En l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir qu’il a recherché la protection des autorités publiques, mais que celles-ci auraient été incapables de lui fournir une protection adéquate ou lui auraient refusé cette dernière pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Quant au renvoi par le demandeur à la situation générale en matière de sécurité en Albanie, force est de constater que les considérations avancées se rapportent en substance à l’existence d’un climat général d’insécurité sans permettre pour autant d’étayer que la police n’est effectivement pas en mesure de donner des suites utiles à sa dénonciation des menaces dont il avait fait l’objet.

En ce qui concerne le moyen subsidiaire soulevé par le demandeur tiré d’une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de constater qu’il n’appartient pas au tribunal administratif d’analyser une éventuelle atteinte portée par le ministre de la Justice au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, tel que protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître un demandeur d’asile comme réfugié au sens de la Convention de Genève. En effet, même à admettre que le demandeur tombe dans le champ d’application de la disposition de droit international précitée, pareille circonstance ne saurait l’autoriser à se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève (cf. trib. adm. 25 mai 2000, n° 11717, Pas. adm. 2001, v° Etrangers, n° 66). Ce moyen doit partant être rejeté comme étant étranger à la matière faisant l’objet des décisions ministérielles incriminées.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 avril 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT S. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13998
Date de la décision : 22/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-22;13998 ?

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