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22/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13992

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2002, 13992


Numéro 13992 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13992 du rôle, déposée le 13 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, as

sistée de Maître Guillaume TRYHOEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre...

Numéro 13992 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13992 du rôle, déposée le 13 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, assistée de Maître Guillaume TRYHOEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mai 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 16 août 2001, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg du 26 juillet 2001 admettant Monsieur … au bénéfice de l’assistance judiciaire;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guillaume TRYHOEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 janvier 2002.

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Le 12 avril 1999, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur… fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur… fut entendu en date du 15 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, une audition complémentaire ayant eu lieu le 12 août 1999.

Le ministre de la Justice informa Monsieur… par décision du 21 mai 2001, notifiée en date du 10 juillet 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 8 août 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 16 août 2001, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles des 21 mai et 16 août 2001 par requête déposée le 13 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de la région du Sandzak et de religion musulmane, fait exposer qu’il aurait été membre du parti politique musulman SDA de 1993 à 1996 et que cette appartenance aurait eu pour conséquences des altercations avec des voisins serbes et avec la police « apparemment plus focalisée sur les liens et appartenances politiques de chacun que d’assurer la sûreté nationale et la sécurité ». Il se prévaut de sa crainte de représailles de la part de l’armée fédérale yougoslave pour avoir refusé de donner suite en raison de ses convictions morales et religieuses, à un appel pour intégrer la réserve de l’armée yougoslave au moment du début des bombardements effectués par l’OTAN et du risque en découlant d’un traitement discriminatoire dans le cadre d’une condamnation pour cause d’insoumission du fait de sa religion musulmane, ceci malgré l’existence d’une loi d’amnistie. Il ajoute qu’il faudrait tenir compte de sa situation familiale alors que sa sœur vivrait au Luxembourg et son frère en Allemagne et qu’un rejet de sa demande d’asile provoquerait l’éclatement de ce noyau familial.

Quant à la situation générale dans son pays d’origine, le demandeur renvoie au clivage subsistant entre la communauté musulmane et celle des orthodoxes majoritaires dans sa région d’origine et au risque d’actes de violence de la part de ces derniers contre les musulmans pour soutenir qu’une crainte légitime de persécution personnelle en découlerait dans son chef. Il relève que la présence de l’armée fédérale, d’obédience serbe, dans sa région d’origine en raison de la proximité du Kosovo accroîtrait encore le risque d’actes d’intimidation à l’encontre des minorités musulmane et albanaise et que l’armée se trouverait face à une police monténégrine renforcée en vue de lui opposer une résistance adéquate, fait qui contribuerait « à faire perdurer un climat de tension extrême ». Quant à la police, le demandeur d’ajouter que de nombreux dysfonctionnements, dont la mort inexpliquée de plusieurs hauts responsables, auraient pu être constatés en son sein et qu’elle « ne semble pas obéir aux impératifs de l’ordre général et tout contact avec elle peut s’avérer dangereux ». Le demandeur expose que le résultat des dernières élections auraient conduit à une courte victoire de Milo DJUKANOVIC qui s’était engagé à organiser un référendum sur l’indépendance du Monténégro de la Yougoslavie et qui serait tenu de respecter cet engagement, lequel risquerait de conduire à des tensions entre la Yougoslavie et la communauté internationale plutôt favorable au maintien du Monténégro au sein d’une Yougoslavie démocratique.

Sur base de ces éléments, le demandeur reproche au ministre un examen superficiel des faits sans prendre en compte ses craintes réelles de persécution et la situation générale dans son pays d’origine, vu qu’il « se retranche derrière la situation politique et législative apparente d’un pays, sans rapport avec la réalité factuelle ». Il argue que, même si l’insoumission et la simple appartenance à un parti politique sont insuffisantes en soi pour constituer une crainte justifiée de persécution, l’ensemble des éléments ci-avant relevés, en sus de sa confession musulmane, plaideraient en faveur du constat qu’il ne pourrait pas trouver une protection efficace dans son pays d’origine.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses deux auditions en dates des 15 juillet et 12 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il ressort des déclarations du demandeur lors de ses auditions qu’il était simple adhérent du parti SDA et qu’il n’en est plus membre depuis 1996. Abstraction même faite de ce que la simple qualité de membre d’un parti politique sans justification d’un rôle actif joué en son sein n’est pas de nature à fonder une crainte fondée de persécution, les altercations alléguées du demandeur avec ses voisins et la police du fait de son adhésion politique ne sauraient plus fonder une crainte justifiée de persécution à l’heure actuelle.

Concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant le renvoi par le demandeur aux craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane et à la situation générale instable dans son pays d’origine, force est de constater que ces faits sont insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires du fait de son appartenance ethnique ou religieuse ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 avril 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13992
Date de la décision : 22/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-22;13992 ?

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