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22/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13973

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2002, 13973


Tribunal administratif N° 13973 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13973 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2001 par Maître Eric ROUSSEAUX, avocat à la Cour, assisté de Maître Katy DEMARCHE, avocat, les deux

inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bérane (Monténég...

Tribunal administratif N° 13973 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13973 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2001 par Maître Eric ROUSSEAUX, avocat à la Cour, assisté de Maître Katy DEMARCHE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2001, notifiée le 29 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 8 août 2001, suite à un recours gracieux introduit par la demanderesse;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Eric ROUSSEAUX, en ses plaidoiries.

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Le 24 novembre 1998, Mme … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue le 30 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 mai 2001, notifiée le 29 juin 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations qu’après avoir séjourné pendant un certain temps chez des membres de votre famille à Sarajevo, un passeur vous a conduit jusqu’à la frontière italienne que vous avez traversée à pied. Vous avez ensuite transité par l’Autriche et l’Allemagne pour arriver au Luxembourg le 22 novembre 1998.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le 24 novembre 1998.

Vous exposez que vous n’êtes pas membre d’un parti politique, que vous n’avez pas d’opinions politiques et que vous n’avez pas subi de persécutions.

Vous dites avoir quitté le Monténégro en raison des mauvaises situations politique et économique. Ce sont vos parents qui vous ont incitée à venir au Luxembourg pour rejoindre vos frères qui habitent ici. Ce sont ces derniers qui vous ont demandé de déposer une demande d’asile.

Concernant les mauvaises situations politique et économique au Monténégro, je signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutée pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

Tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous devez affronter à votre retour en raison des retombées de la crise économique qui sévit dans votre pays d’origine, je me dois de constater qu’un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile politique au sens de la prédite Convention.

Je signale également qu’en octobre 2000 le régime politique a changé en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement et qu’un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La République Fédérale de Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 27 juillet 2001, Mme … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 mai 2001.

Par décision du 8 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure Par requête déposée en date du 10 septembre 2001, Mme … a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’elle aurait quitté sa région natale et son pays d’origine en raison des situations conflictuelles existant entre les Serbes et la minorité musulmane. Elle soutient que les musulmans devraient subir des persécutions de la part des Serbes, qui domineraient toujours le Monténégro.

En substance, elle reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son appartenance à la minorité musulmane et la mauvaise situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Elle ajoute encore qu’elle vivrait auprès de son frère, auquel le statut de réfugié aurait été reconnu en 1992.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance de la demanderesse, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que la demanderesse ne se trouve pas confrontée à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le ministre aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire qu’il doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Mme … lors de son audition en date du 30 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres de la minorité musulmane au Monténégro, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par la demanderesse constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’elle n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ de la demanderesse, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que la demanderesse n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’elle ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13973
Date de la décision : 22/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-22;13973 ?

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