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22/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13967

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2002, 13967


Tribunal administratif N° 13967 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13967 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2001 par Maître Yvette NGONO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de M. .., né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse,...

Tribunal administratif N° 13967 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13967 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2001 par Maître Yvette NGONO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. .., né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … née le … à Novi Pazar, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 juillet 2001, notifiée le 8 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Yvette NGONO en ses plaidoiries.

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En date du 22 décembre 1998, M. et Mme …, accompagnés de leur fils …, se présentèrent au ministère de la Justice et introduisirent oralement auprès du service compétent une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 octobre 1999, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 24 juillet 2001, notifiée le 8 août 2001, le ministre de la Justice informa les époux … que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous n’auriez jamais été appelé à la réserve. Vous auriez peur de la mauvaise situation générale. Il n’y aurait pas d’avenir pour les musulmans du Sandzak qui seraient d’ailleurs dérangés par les Serbes dans tout ce qu’ils feraient. Ainsi, vous auriez souvent été arrêté par la police qui vous aurait dit que vous n’auriez pas le droit de faire des livraisons pour le compte de votre beau-frère qui aurait eu une petite fabrique de jeans. Votre peur serait liée à votre religion. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécuté.

Madame, vous exposez que votre maison serait située près d’une grande route et que des troupes seraient passées par là. Votre peur serait motivée par les Serbes. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, les motifs que vous invoquez (absence d’avenir pour les musulmans du Sandzak, tracasseries par la police) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention.

Madame, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élection législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 7 septembre 2001, les époux …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 24 juillet 2001.

Au fond, les demandeurs concluent à la réformation de la décision querellée pour « violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits », au motif que le ministre n’aurait pas apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine.

A l’appui de leur recours, ils font exposer qu’ils seraient de religion musulmane et originaires de la région du Sandzak (partie serbe) et qu’ils auraient fui leur pays d’origine en raisons de « nombreuses intimidations » en raison de leur religion musulmane. Ils ajoutent que M. … aurait été tracassé par la police serbe, qui lui aurait « interdit » de procéder à des livraisons pour son beau-père et que leur départ serait en outre lié aux nombreuses arrestations de musulmans et à la disparition de nombreuses familles, c’est-à-dire qu’ils auraient préféré se réfugier à l’étranger afin d’échapper à une politique d’épuration visant à chasser tout les musulmans de la Serbie.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que les demandeurs ne se trouvent pas confrontés à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le ministre aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire qu’il doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date du 4 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir leur appartenance à la minorité musulmane et la mauvaise situation générale de cette minorité en Serbie et, plus particulièrement dans la région du Sandzak, il convient de relever qu’il est vrai que la situation des membres de minorités en Yougoslavie, notamment celle des musulmans, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13967
Date de la décision : 22/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-22;13967 ?

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