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22/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13964

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2002, 13964


Tribunal administratif N° 13964 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13964 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2001 par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Patricia FERRANTE, avocat, les deux inscrits au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougos...

Tribunal administratif N° 13964 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 22 avril 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13964 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2001 par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Patricia FERRANTE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2001, lui notifiée le 29 juin 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Patricia FERRANTE en ses plaidoiries.

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Le 26 octobre 1998, M. … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 octobre 1999, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 mai 2001, notifiée le 29 juin 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations que dix jours avant votre arrivée au Luxembourg vous avez quitté Podgorica.

Vous avez rejoint l’Albanie en bateau. Toujours en bateau vous avez traversé la Mer Adriatique pour accoster en Italie, près de Lecce. Là vous avez pris le train pour Milan, puis pour Lyon, Dijon et Metz. Arrivé à Metz vous avez pris un bus pour le Luxembourg où vous êtes arrivé le matin du 26 octobre 1998.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous exposez qu’en octobre 1998 la police militaire se serait présentée à votre domicile avec une convocation pour la réserve. Vous n’étiez pas à la maison en ce moment. Il s’agissait déjà de la 2e convocation, votre père ayant refusé la 1ère. Cette fois-ci la police militaire était venue elle-même parce qu’elle voulait vous emmener tout de suite à la réserve.

Vous avez alors décidé de quitter le pays parce que vous ne vouliez pas aller à la réserve en raison de la situation à l’époque en Yougoslavie. Vous dites que déjà pendant que vous faisiez le service militaire vous vous faisiez insulter par les Serbes parce que vous êtes de confession musulmane. Vous affirmez que vous avez connu beaucoup de réservistes qui ne sont jamais revenus.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique mais que vous êtes sympathisant de Djukanovic que vous estimez être un bon Président. Vous dites que vous avez participé à des manifestations organisées par Djukanovic et que depuis vos voisins vous regardaient d’un autre œil. Vous affirmez que tant que Milosevic est au pouvoir il vous serait impossible de retourner au Monténégro. Celui-ci aurait d’ailleurs menacé les Monténégrins en leur disant qu’il allait envoyer des formations para-militaires comme celles de Seselj et celles d’Arkan.

Vous exposez également que vous avez peur de retourner dans votre pays en raison des extrémistes qui risqueraient de vous tuer. Vous dites que les musulmans sont traités différemment des Serbes et que l’égalité devant la loi n’existerait que sur le papier. Vous faites état d’une interpellation par la police qui aurait cherché des armes dans votre voiture et qui au cours de cet incident vous aurait frappé.

Concernant le premier motif invoqué à l’appui de votre demande d’asile, à savoir l’insoumission, je souligne que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. La crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne constitue pas non plus une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs, une loi d’amnistie pour les déserteurs et réfractaires a été votée par le parlement de la République Fédérale de Yougoslavie au mois de février 2001 et est entrée en vigueur en mars 2001. Vous ne risquez par conséquent plus d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour ne pas vous être présenté pour accomplir la réserve militaire.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

Même si le récit relatif aux mauvais traitements vous infligés par la police lors de l’interpellation a trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle - même à les supposer établis - qu’ils constituent une persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant la situation politique au Monténégro, je souligne qu’en octobre 2000 le régime politique a changé en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement et qu’un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La République Fédérale de Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 23 mai 2001, M. … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 27 juillet 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 août 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 23 mai 2001 par requête déposée en date du 7 septembre 2001.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et qu’il appartiendrait à la minorité des musulmans persécutés systématiquement par les Serbes. Il estime que la décision déférée serait le résultat d’une erreur d’appréciation des éléments de fait et qu’elle violerait les dispositions de la Convention de Genève et de la Convention européenne des droits de l’homme. Il fait valoir plus particulièrement à cet égard que c’était face au risque d’être persécuté par les Serbes dans son pays d’origine qu’il aurait préféré quitter son pays et se réfugier à l’étranger. Dans ce contexte, il relève encore qu’il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire et qu’il aurait refusé de donner suite à cette convocation, de sorte qu’il serait considéré comme insoumis et qu’il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire serbe et d’être condamné à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, cette peine risquant d’être d’autant plus grave en raison de sa religion musulmane. Le demandeur fait encore ajouter que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation, étant donné qu’elle ne viserait pas le cas des insoumis, qui se sont réfugiés à l’étranger pour échapper à leurs obligations militaires. Concernant la situation générale dans son pays, il estime qu’il serait faux de soutenir qu’elle serait redevenue normale, mais que malgré un début d’amélioration, la situation resterait instable et dangereuse surtout pour les membres de minorités ethniques.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférées. Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le ministre aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire qu’il doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 4 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, le tribunal constate que la décision ministérielle de refus sont légalement justifiée par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la loi d’amnistie ne serait pas systématiquement appliquée, étant donné qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Concernant ensuite les craintes de persécution du demandeur en raison de son appartenance à la minorité des musulmans, force est de constater que si la situation générale des membres de cette minorité est certes difficile, il n’est cependant pas établi qu’elle serait telle que tout membre d’une minorité ethnique de ce type serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Enfin, l’argumentation basée sur une prétendue violation de la convention européenne des droits de l’homme et, plus particulièrement de son article 3, même à la supposer fondée, ne saurait pas impliquer la reconnaissance du statut de réfugié, seul objet du présent litige, étant donné que l’examen du bien fondé ou mal fondé d’une demande d’asile doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas et notamment à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi dudit statut, à savoir, essentiellement la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13964
Date de la décision : 22/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-22;13964 ?

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