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22/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13775

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2002, 13775


Numéro 13775 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 22 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13775 du rôle, déposée le 25 juillet 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tab

leau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité ...

Numéro 13775 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 22 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13775 du rôle, déposée le 25 juillet 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 juillet 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 juin 2001, erronément datée au 21 juin 2000, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 février 2002.

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Le 2 juin 1999, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 12 juillet 2000, notifiée en date du 22 septembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 20 octobre 2000 fut rencontré par une première décision confirmative du ministre du 21 juin 2001, datée par erreur au 21 juin 2000. Le ministre réitéra cette décision de rejet du recours gracieux par un courrier du 8 août 2001 adressé au nouveau mandataire de Monsieur ….

A l’encontre des décisions ministérielles initiale du 12 juillet 2000 et confirmative du 21 juin 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 25 juillet 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Monténégro et de religion musulmane, fait exposer qu’il se serait enfui de son pays d’origine afin d’éviter d’être appelé à la réserve de l’armée yougoslave, étant donné qu’en tant que musulman il refuserait d’aller à la guerre pour tuer d’autres musulmans. Il fait valoir que sa peur de persécution serait liée aux peines qu’il risquerait d’encourir en tant que déserteur et aux discriminations dont il ferait l’objet dans ce cadre en tant que musulman et que la loi d’amnistie, à laquelle le ministre se référerait, ne trouverait pas une application généralisée ainsi que le prouverait le cas d’un officier déserteur ayant été arrêté et emprisonné après l’entrée en vigueur de cette loi. Il ajoute qu’il aurait reçu un nouvel appel après le 7 octobre 2000, de manière qu’il tomberait en-dehors du champ d’application de la loi d’amnistie. Le demandeur donne à considérer qu’il ne faudrait pas lui refuser le statut de réfugié en tirant argument d’une possibilité de fuite interne, pareille position contribuant à une politique de déplacement forcé dans son pays d’origine. Il relève enfin qu’on assisterait depuis le mois d’octobre 2000 à une radicalisation des partis à l’encontre des minorités et à des discriminations importantes dont ces dernières feraient l’objet pour conclure que sa situation ethnico-religieuse particulière fonderait dans son chef une crainte justifiée de persécution.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 5 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant l’allégation relative à une non-application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence notamment à un extrait du journal « Vesti » du 13 mars 2001, se rapportant au cas du sous-officier Dzemail MASOVIC, qui lors de son retour en Yougoslavie, aurait été arrêté et emprisonné en raison de sa désertion, il convient en premier lieu de relever qu’au-delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

En outre, il convient d’ajouter que l’extrait du journal « Vesti » invoqué par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenu pour invalider la conclusion ci-avant dégagée. En effet, à admettre son authenticité, il ne permet en tout état de cause pas à situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps. Par ailleurs, ladite pièce ne renseigne pas sur les suites et aboutissements que la procédure éventuellement menée a connu.

Cette conclusion n’est pas énervée par le renvoi par le demandeur à une convocation lui adressée après le 7 octobre 2000, étant donné qu’abstraction faite de ce que l’existence alléguée d’une telle convocation ne résulte d’aucun élément du dossier soumis au tribunal, ce fait devrait seulement être pris en compte si le demandeur établissait qu’il risquerait alors de devoir participer au sein de l’armée yougoslave à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risqueraient de lui être infligés.

Concernant le renvoi par le demandeur aux craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane et à la situation générale instable dans son pays d’origine, force est de constater que ces faits sont insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires du fait de son appartenance ethnique ou religieuse ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 avril 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13775
Date de la décision : 22/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-22;13775 ?

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