La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2002 | LUXEMBOURG | N°14039

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 avril 2002, 14039


Tribunal administratif N° 14039 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2001 Audience publique du 18 avril 2002

==================================

Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14039 du rôle, déposée le 8 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à ...

Tribunal administratif N° 14039 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2001 Audience publique du 18 avril 2002

==================================

Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14039 du rôle, déposée le 8 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie) et de son épouse, Madame …, née … à Bérane, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2001, notifiée le 7 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 24 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en ses plaidoiries.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 2 juin 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».En date du même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … et Madame … furent entendus séparément en date du 27 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Le ministre de la Justice informa les consorts …-…, par lettre du 23 juillet 2001, notifiée en date du 7 août 2001, que leurs demandes avaient été rejetées aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez reçu un appel pour faire la réserve avant le début des bombardements, appel que vous auriez refusé. La police militaire serait venue à plusieurs reprises pour vous chercher. Votre épouse aurait été insultée et frappée. Vous risqueriez d’être traduit devant le tribunal militaire, mais vous ignorez quelle sanction vous attend. Vous expliquez que vous auriez quitté votre pays à cause de la guerre et des maltraitances. Vous précisez qu’il y aurait toujours un risque de guerre tant que Milosevic serait au pouvoir. Par ailleurs, vous n’auriez pas trouvé d’emploi régulier à cause de votre religion. Vous précisez aussi que vous auriez peur des Serbes qui habiteraient dans votre village et de la peine qui vous attendrait devant le tribunal militaire. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Madame, vous seriez venue à cause de la guerre et parce que votre mari aurait eu des problèmes à cause de la réserve. Vous auriez été insultée et frappée lorsque des membres de la police militaire seraient venus chercher votre mari. Vous expliquez avoir peur de la guerre et des Serbes. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les autres motifs que vous relevez, à savoir vos difficultés pour trouver un emploi et la maltraitance de votre famille, même à supposer ces faits établis, ne constituent pas un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

Madame, les faits que vous invoquez (insultes, maltraitance), même à les supposer établis, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Un recours gracieux daté du 4 septembre 2001, réceptionné par le ministère de la Justice en date du 5 septembre 2001, formulé par le mandataire des consorts …-…, et dirigé contre la décision ministérielle précitée du 23 juillet 2001, fut rejeté par une décision confirmative du ministre de la Justice du 24 septembre 2001.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2001, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des décisions ministérielles précitées des 23 juillet et 24 septembre 2001.

Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs concluent d’abord à l’annulation de la décision précitée du 23 juillet 2001, dans la mesure où elle a été signée « pour le ministre de la Justice », suivi d’une signature et de la mention « Attaché de Gouvernement », sans qu’il leur aurait été possible de vérifier l’identité exacte du signataire de ladite décision. Ils auraient ainsi été dans l’impossibilité, d’une part, de vérifier si le signataire de la décision en question avait effectivement la qualité d’attaché de gouvernement, de sorte à ne pas pouvoir vérifier la légalité de la décision en question et, d’autre part, d’analyser si le fonctionnaire en question disposait bien d’une délégation de signature l’habilitant à signer la décision afférente.

Le délégué du gouvernement soutient que cette argumentation serait dépourvue de pertinence dans la mesure où les demandeurs auraient pu s’enquérir sur l’identité du signataire des décisions en procédant aux vérifications appropriées auprès du ministère d’Etat. Il ajoute que par ailleurs les demandeurs n’auraient pas précisé en quoi les dispositions de l’ordonnance grand-ducale modifiée du 31 janvier 1970 concernant les délégations de signature par le Gouvernement n’auraient pas été respectées.

Il échet tout d’abord de relever que c’est à tort que le délégué du gouvernement se base sur l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 dans le cadre de son raisonnement, celle-ci ayant été abrogée et remplacée, avec effet au 1er janvier 2001, par l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 2000 concernant les délégations de signature par le Gouvernement.

Ceci dit, en ce qui concerne la question litigieuse, la nouvelle réglementation n’a pas apporté de modification rendant l’argumentation du représentant étatique sans pertinence, de sorte que le raisonnement développé par lui est pris en compte par le tribunal par rapport à la nouvelle réglementation, applicable aux faits de l’espèce en ce que la décision critiquée a été rendue le 23 juillet 2001, partant après l’entrée en vigueur, en date du 1er janvier 2001, de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000.

D’après l’article 2 de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000 « les délégations de signature sont écrites et formelles (…) ». Par ailleurs, l’article 3, alinéas 1er et 3 du même arrêté grand-ducal, dispose que « une expédition de toute délégation de signature est déposée avec un spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, au ministère d’Etat (…). Toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut en obtenir connaissance ».

Un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000 n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’arrêté précité (v. en ce sens trib.

adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Actes administratifs, II.

Contenu formel d’une décision administrative, n° 41, p. 26 et autres références y citées).

Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs reprochent au signataire de la décision critiquée de ne pas avoir indiqué ses nom et prénom dans la formule de signature apposée sur la décision sous analyse.

Il échet tout d’abord de relever que les parties à l’instance ne contestent pas que la décision critiquée du 23 juillet 2001 a été signée par Monsieur Jean-Paul REITER, en sa qualité d’attaché de gouvernement, en indiquant comme formule de signature « pour le ministre de la Justice, attaché de gouvernement ».

Il n’est en outre pas contesté que Monsieur REITER bénéficiait, au moment de la signature de la prédite décision, d’une délégation de signature émise par le ministre de la Justice en date du 19 janvier 2001, en vertu de laquelle il était autorisé à « signer toutes affaires relatives aux attributions du Ministère de la Justice, pour autant qu’à son jugement ces pièces correspondent à la politique établie par le Ministre et n’en requièrent pas l’attention personnelle », avec la spécification que ladite délégation « ne comprend pas les affaires financières ».

Il est vrai qu’un administré peut avoir intérêt à vérifier l’identité de la personne ayant signé la décision lui adressée, notamment afin d’être en mesure d’examiner si la personne en question avait pouvoir de ce faire et qu’en tant que personne justifiant d’un intérêt légitime pour prendre connaissance d’une éventuelle délégation de signature émise en faveur du signataire de la décision en question, il est autorisé, sur base de l’article 3, alinéa 3 de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000, à prendre inspection de l’éventuelle délégation de signature auprès des services du ministère d’Etat.

Pour le surplus, les demandeurs n’ayant pas précisé en quoi il y aurait violation de l’arrêté grand-ducal précité du 22 décembre 2000, le tribunal n’a pas à prendre position par rapport au moyen tiré d’une prétendue violation dudit texte réglementaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que ce moyen est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de la Justice de leur avoir notifié les décisions incriminées en français, partant dans une langue qui leur serait incompréhensible et qu’il aurait partant commis une violation des droits de l’homme.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, en ce qu’un demandeur d’asile ne saurait se plaindre de ce que les décisions ministérielles de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique sont rédigées en français, langue qui lui serait incompréhensible, étant donné qu’en vertu de la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues, le français est l’une des trois langues officielles du Grand-Duché de Luxembourg, en matière administrative, contentieuse ou non contentieuse, ainsi qu’en matière judiciaire et qu’il n’existe aucun texte de loi spéciale obligeant le ministre de la Justice à faire traduire ses décisions dans une langue compréhensible pour le destinataire (cf. trib. adm. 12 mars 1997, n° 9679 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, I. Réfugiés, B) Questions de procédure, n° 17 et autres références y citées).

En outre, il n’est pas contesté qu’en l’espèce la décision ministérielle incriminée du 23 juillet 2001 a été traduite aux demandeurs d’asile par un interprète lors de sa notification en date du 7 août 2001 et partant les demandeurs ne sauraient se plaindre de la non compréhension de la décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef.

Dans la mesure où les demandeurs critiquent encore les décisions déférées en ce que le ministre leur aurait à tort refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique, sans toutefois indiquer en quoi le ministre aurait violé la loi ou commis une erreur d’appréciation des faits et sans qu’ils fournissent une quelconque indication dans leur requête introductive d’instance quant aux faits qui devraient établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse également d’être fondé sous ce rapport.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Nonobstant le fait que les demandeurs n’étaient pas représentés à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est néanmoins jugée contradictoirement à leur égard, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.

Il échet encore de donner acte aux demandeurs de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire, tel que cela ressort d’une lettre du délégué du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg du 30 août 2001, déposée au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2001.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 18 avril 2002 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14039
Date de la décision : 18/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-18;14039 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award