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10/04/2002 | LUXEMBOURG | N°14123

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 avril 2002, 14123


Tribunal administratif N° 14123 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 novembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14123 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2001 par Maître Véronique DE MEESTER, av

ocat à la Cour, assistée de Maître Guillaume TRYHOEN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre ...

Tribunal administratif N° 14123 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 novembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14123 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2001 par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, assistée de Maître Guillaume TRYHOEN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le…, agissant tant en leur nom personnel ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs …, …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 juillet 2001, notifiée en date du 28 août 2001, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 3 octobre 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu la lettre du 20 septembre 2001 de Maître Guillaume TRYHOEN, déposée le 2 novembre 2001 au greffe du tribunal administratif, par laquelle il informe le tribunal de ce que ses mandants ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en ses plaidoiries à l’audience publique du 18 mars 2002.

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En date du 8 juin 1999, les époux … et …, agissant en leur nom personnel ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs …, …, … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 10 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 9 juillet 2001, notifiée le 28 août 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez reçu une convocation pour la réserve en avril 1999. Vous l’auriez refusée. La police militaire serait alors venue à votre travail pour vous interroger sur les raisons de votre refus et pour vous dire de vous présenter à la caserne. Vous n’y auriez cependant pas donné suite parce que vous ne vouliez pas aller à la guerre. Vous vous seriez enfui à Podgorica avec votre famille. Vous auriez à présent peur d’être traduit devant le tribunal militaire et d’être condamné à une peine d’emprisonnement ou à une amende. Vous expliquez aussi que vous seriez venu pour des raisons économiques, étant donné que tout comme votre épouse vous auriez perdu votre emploi. Il n’y aurait pas de possibilité de vivre au Monténégro. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécuté.

Madame, vous exposez que votre mari aurait eu des problèmes à cause de la réserve.

Vous auriez aussi eu des problèmes économiques tout en précisant que ce ne serait pas la raison pour laquelle vous seriez venue au Luxembourg. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les raisons économiques que vous invoquez ne constituent pas non plus une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention.

Madame, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 24 septembre 2001, les époux …-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 juillet 2001.

Par décision du 3 octobre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 2 novembre 2001, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 9 juillet et 3 octobre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, que Monsieur … aurait été appelé fin avril 1999 à la réserve de l’armée et que la police militaire serait même venue le chercher à son lieu de travail, mais qu’il aurait réussi à s’enfuir au moment où il serait retourné à son domicile chercher son uniforme militaire, étant donné qu’il aurait eu peur de participer à la guerre. Les demandeurs signalent en outre que Monsieur … risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et d’être condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à 3 ans. Les demandeurs font encore référence à la situation politique instable dans leur pays d’origine, au fait que leur maison aurait été pillée par des voisins et que la police serait restée sans réaction lors de ce méfait. Finalement, les demandeurs mettent encore en avant l’éducation suivie par leurs enfants au Luxembourg, ainsi que l’état de santé de Monsieur … qui aurait gardé des séquelles profondes suite à une opération chirurgicale importante en juillet 1999 et qui ferait l’objet encore à l’heure actuelle d’un suivi médical.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux …-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 10 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir l’insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant ensuite les déclarations des demandeurs ayant trait au pillage de leur maison, ces faits, aussi dramatiques qu’ils ont pu être vécus par les demandeurs, n’établissent pas à l’heure actuelle une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisants pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent, voir encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ, et même antérieurement, et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Pour le surplus, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur religion et de la situation générale dans leur pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Finalement, les considérations ayant trait à l’éducation des enfants de la famille …-… au Luxembourg, de même que les problèmes de santé de Monsieur … ne sauraient constituer des motifs valables de reconnaissance du statut de réfugié politique.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour les demandeurs n’a été ni présent, ni représenté à l’audience à laquelle l’affaire fut plaidée, est indifférent. Comme les demandeurs ont déposé une requête introductive d’instance, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 avril 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14123
Date de la décision : 10/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-10;14123 ?

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