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10/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13979

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 avril 2002, 13979


Numéro 13979 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 septembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13979 du rôle, déposée le 11 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né...

Numéro 13979 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 septembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13979 du rôle, déposée le 11 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse, Madame …, née le…, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 août 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 janvier 2002.

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Le 7 décembre 1998, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… furent entendus séparément en date du 19 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-…, par décision du 23 mai 2001, notifiée en date du 29 juin 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les époux …-… suivant courrier de leur mandataire du 29 juillet 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 8 août 2001, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 23 mai et 8 août 2001 par requête déposée le 11 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Les demandeurs reprochent tout d’abord au ministre de ne pas avoir respecté un délai raisonnable au sens de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, alors que leur demande d’asile date du 2 octobre 1998 et que le ministre aurait été en possession de tous les éléments requis pour instruire leur demande dans un délai raisonnable, de manière que les décisions entreprises devraient encourir l’annulation pour détournement de pouvoir.

Il convient en premier lieu de relever qu’il est établi par les pièces versées au dossier que préalablement à la décision ministérielle déférée, les demandeurs ont fait l’objet d’auditions détaillées et individuelles par un agent du service de police judiciaire, ainsi que par un agent du ministère de la Justice en présence d’un traducteur assermenté.

En ce qui concerne la durée qui s’est écoulée entre l’audition des demandeurs et la prise des décisions entreprises, force est de constater que les demandeurs restent en défaut d’indiquer en quoi leurs droits auraient été lésés, étant donné que, d’une part, le ministre de la Justice est appelé à statuer sur base des déclarations des demandeurs en tenant compte de la situation telle qu’elle se présente à l’heure où il statue, c’est-à-dire qu’il doit tenir compte des changements de situation qui sont intervenus depuis l’audition du demandeur d’asile et qui sont de nature à influencer le sort à réserver à la demande d’asile et, d’autre part, les demandeurs n’indiquent pas dans leur recours en quoi leur situation particulière ou celle de leur pays d’origine auraient évolué depuis leurs auditions sans que pareil changement n’ait été pris en considération par le ministre dans le cadre de sa décision initiale du 23 mai 2001 ou de celle confirmative du 8 août suivant.

Il s’ensuit que le reproche d’une violation des droits de la défense des demandeurs ne saurait être utilement retenu en l’espèce, à défaut d’éléments concrets avancés à cet égard.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires de Serbie, de confession musulmane et faisant partie de la minorité bochniaque, font exposer que Monsieur … aurait revêtu la fonction de policier au sein des forces yougoslaves, mais qu’il aurait également été membre actif du parti politique SDA et qu’il aurait profité de son poste pour informer à l’avance le parti sur les éventuelles arrestations et perquisitions domiciliaires projetées par la police serbe contre des membres du parti. Ils font valoir que Monsieur … aurait été licencié en raison de son appartenance ethnique et religieuse et de son affiliation audit parti, sous le prétexte de fausses inculpations lancées par ses supérieurs à son encontre et qu’il aurait été emprisonné durant trois mois, sans que les autorités policières n’aient cependant découvert son rôle d’informant au bénéfice de son parti. Dans la mesure où les agissements de Monsieur … en faveur du parti SDA auraient été révélés seulement après son départ pour le Luxembourg, les demandeurs soutiennent qu’un retour dans leur pays d’origine serait impossible à l’heure actuelle, étant donné notamment que 21 autres membres du parti SDA auraient été condamnés à des peines d’emprisonnement de 5 à 7 ans. Les demandeurs renvoient encore aux menaces directes, aux diffamations et aux discriminations par eux subies tant au lieu de travail que dans leur vie privée, ainsi qu’aux intimidations et confrontations publiques de la part d’agents de la force publique. Ils se prévalent également de l’insoumission de Monsieur … qui aurait refusé d’être enrôlé dans l’armée yougoslave pour ne pas devoir tuer des innocents pendant la guerre au Kosovo et du risque pour celui-ci d’être condamné à une peine disproportionnée du fait de son insoumission « pendant la proclamation de l’état de guerre ». En considération des faits ainsi exposés, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits et d’avoir conclu à tort à l’absence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef et ils affirment qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû le conduire à leur reconnaître le bénéfice du statut de réfugié. Ils font valoir que l’acte d’insoumission de Monsieur … devrait être considéré comme fondant une crainte justifiée de persécution, vu qu’il aurait été dicté par des raisons politiques ou de conscience, qu’il serait perçu, même en tant qu’acte d’abstention, par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et enfin que cette insoumission, ainsi que son départ à l’étranger en période de conflit militaire, risqueraient d’être sévèrement sanctionnés par une condamnation pénale sans doute d’une sévérité disproportionnée et discriminatoire au vu de sa confession musulmane et de son appartenance politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.

5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, il ressort des déclarations des demandeurs lors de leurs auditions respectives que Monsieur … fut licencié par la police déjà durant l’année 1994 et qu’il avait travaillé depuis lors comme policier de réserve, de sorte que ce licenciement ne saurait plus fonder actuellement une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, le demandeur ayant de plus continué son activité policière, quoique sous un autre statut.

Quant à la crainte des demandeurs tirée des conséquences découlant de l’activité d’informant pour le parti SDA exercée par Monsieur …, force est de relever que le tribunal est appelé à examiner le bien-fondé des décisions entreprises à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. Or, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et un processus de démocratisation y est en cours, de manière que les demandeurs n’établissent pas que la révélation, par ailleurs non autrement étayée, voire concrètement décrite, de l’activité d’informant de Monsieur … emporterait encore à l’heure actuelle le risque pour eux de ne pas pouvoir se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Concernant le moyen des demandeurs fondé sur l’insoumission de Monsieur …, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève. En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa confession musulmane, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation afférente d’ores et déjà prononcée serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 avril 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13979
Date de la décision : 10/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-10;13979 ?

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