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10/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13958

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 avril 2002, 13958


Tribunal administratif N° 13958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13958 du rôle, déposée le 7 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rozaje (Monténégro), de nationalité yougosla

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Tribunal administratif N° 13958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13958 du rôle, déposée le 7 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rozaje (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 juillet 2001, lui notifiée en date du 10 août 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Zohra BELESGAA, en remplacement de Maître Jeannot BIVER en ses plaidoiries.

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Le 3 mars 1999, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Il ressort d’un procès-verbal établi en date du 18 mai 2000, que Monsieur … se trouvait en Allemagne le 13 janvier 1999 sous la fausse identité de Ante VEIC et que « eine Uberprüfung im schengener Informationssystem ergab, dass …/VEIC mit dem Vermerk « étranger non admissible - refuser entrée - expulser » ausgeschrieben ist. Weitere Untersuchungen haben ergeben, dass … erstmals am 07.12.1998 in das Bundesgebiet angereist ist ».

Monsieur … a fait l’objet d’une deuxième audition par un agent du ministère de la Justice en date du 22 juin 2000, lors de laquelle il fut interrogé sur les prédits faits.

Le ministre de la Justice informa Monsieur …, par lettre du 24 juillet 2001, notifiée en date du 10 août 2001, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez que vous auriez reçu un appel pour faire la réserve en 1992, mais que vous l’auriez refusé. Vous auriez subi un interrogatoire concernant votre insoumission, mais vous n’auriez pas été sanctionné. En date du 23 février 1999, la police militaire serait venue pour vous conduire à la réserve. Vous pensez que cette fois-ci vous risqueriez d’être emprisonné ou d’être maltraité par la police. Vous expliquez que les musulmans n’auraient pas de droits au Monténégro et qu’ils seraient considérés comme des citoyens de deuxième zone. Vous auriez par ailleurs été insulté et menacé, mais sans que vous ne donniez de détails.

Votre peur d’être maltraité serait liée à votre religion. Vous précisez cependant que vous voudriez retourner au Monténégro lorsque la situation s’améliore. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les autres motifs que vous invoquez (discrimination, insultes, menaces) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est de constater que vos motifs s’analysent plutôt en un sentiment général d’insécurité qu’en une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision ministérielle de rejet du 24 juillet 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation sinon en réformation par requête déposée le 7 septembre 2001.

Encore que le demandeur entende exercer principalement en recours en annulation et subsidiairement seulement en recours en réformation, le tribunal doit examiner en premier lieu l’existence éventuelle d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’admissibilité de cette voie de recours emporte l’irrecevabilité du recours en annulation introduit à titre principal.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice a retenu dans sa décision qu’il n’aurait pas fait état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à sa race, ses opinions politiques, à sa religion, à sa nationalité ou à son appartenance à un groupe social, alors qu’il « a fait état d’un risque de persécution lié à sa religion, en l’occurrence la religion musulmane, et à ses opinions politiques, en l’occurrence son refus d’effectuer le service de réserve ». Il conclut dès lors que le refus du ministre de la Justice de lui accorder le statut de réfugié serait basé sur de faux motifs.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 1/2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions en date des 5 juillet 1999 et 22 juin 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, c’est à tort que le demandeur soutient que la décision ministérielle de refus serait basée sur de faux motifs, alors qu’elle est légalement justifiée par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Finalement, concernant les craintes de persécution du demandeur en raison de la situation générale en Yougoslavie et les craintes de représailles non autrement spécifiées en raison de sa religion musulmane, il y a lieu de retenir que ces faits sont insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Les arguments et déclarations présentés par le demandeur constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte de persécution qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 avril 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13958
Date de la décision : 10/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-10;13958 ?

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