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10/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13946

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 avril 2002, 13946


Tribunal administratif N° 13946 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13946 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2001 par Maître Vincent FRITSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Radesa (Kosovo), et de son épouse, Mme … …, née le … à ...

Tribunal administratif N° 13946 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2001 Audience publique du 10 avril 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13946 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2001 par Maître Vincent FRITSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Radesa (Kosovo), et de son épouse, Mme … …, née le … à Radesa, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 30 mai 2001, notifiée le 21 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport.

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En date du 28 septembre 1998, M. … … et son épouse, Mme … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément le 12 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 30 mai 2001, notifiée le 21 juin 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Monsieur, vous exposez avoir quitté votre pays parce qu’il aurait été impossible d’y mener une vie normale. Les conditions de vie y auraient été très mauvaises. Vous indiquez que votre maison aurait été détruite au courant de l’année 1999.

Vous expliquez avoir reçu deux convocations pour vous présenter devant le juge d’instruction il y a trois ans. Vous auriez refusé d’y aller tout en ignorant de quoi il s’agit.

Vous auriez peur en raison de votre religion musulmane et parce que vos enfants ne parlent pas l’albanais.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle.

Force est de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Enfin, la situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous couriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 13 juillet 2001, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 30 mai 2001.

Par décision du 8 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 4 septembre 2001, les consorts … ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 30 mai et 8 août 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ailleurs, nonobstant le fait que les demandeurs n’étaient pas représentés à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, leur mandataire ayant informé le tribunal par lettre du 25 février 2002 qu’il ne se présentera pas à l’audience fixée pour plaidoiries et que l’affaire pourra être prise en délibéré à cette date, le tribunal statue également contradictoirement à l’égard de la partie demanderesse, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite et partant contradictoire à l’égard d’une partie dès le dépôt d’un mémoire par celle-ci.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de confession musulmane, qu’ils feraient partie de la minorité des « goranis » du Kosovo et qu’ils auraient quitté leur région natale pour échapper à des persécutions de la part des Albanais dirigées à leur encontre en raison de leur appartenance à ladite minorité ethnique.

A ce titre, les demandeurs font valoir que le départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que les Albanais du Kosovo les discrimineraient et les persécuteraient et qu’ils ne pourraient pas se réclamer utilement de la protection des autorités actuellement investies du pouvoir au Kosovo. Ils soutiennent qu’une coexistence pacifique entre les Albanais du Kosovo et les minorités peuplant cette province ne serait plus possible. Ils soutiennent que contrairement aux affirmations du ministre de la Justice la situation générale au Kosovo serait encore très instable et que les autorités en place dans leur pays d’origine, et notamment la KFOR, ne seraient pas en mesure de leur assurer une protection suffisante. Ils soutiennent encore qu’ils feraient constamment l’objet de persécutions, même si ces persécutions n’émanaient plus des autorités serbes de Belgrade mais relèveraient d’une « initiative privée ».

Ils font encore préciser que même si les élections du 28 octobre 2000 se sont conclues par le succès du parti LDK, considéré comme parti modéré, ce parti serait néanmoins incapable de mettre fin aux violences et aux discriminations systématiques contre les minorités et d’imposer sa ligne de conduite.

Ils concluent des considérations qui précèdent qu’il serait établi que leur vie serait menacée en cas de retour dans leur pays d’origine et ceci en raison de leur appartenance à une minorité, de sorte qu’ils devraient bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date du 12 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution au sens de la Convention de Genève ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « goranis », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité des Albanais à leur égard en raison de leur appartenance à la minorité des « goranis » et de la situation générale tendue dans leur région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans leur recours contentieux, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise, mais ils ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 avril 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13946
Date de la décision : 10/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-10;13946 ?

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