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10/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13896

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 avril 2002, 13896


Tribunal administratif N° 13896 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13896 du rôle, déposée le 20 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), de nationali

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Tribunal administratif N° 13896 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13896 du rôle, déposée le 20 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2001, lui notifiée en date du 29 juin 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en ses plaidoiries.

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Le 23 novembre 1998, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 4 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur …, par lettre du 23 mai 2001, notifiée en date du 29 juin 2001, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez que vous n’avez pas encore fait le service militaire. Vous avez reçu plusieurs appels, mais vous avez réussi à chaque fois à obtenir un sursis. Lorsqu’en juin 1998 vous avez de nouveau reçu une convocation, vous saviez que vous n’alliez plus obtenir de sursis. Vous avez alors quitté la Serbie. Vous affirmez que vous ne vouliez pas faire le service militaire en raison de la guerre. Vous considérez que l’armée que vous auriez dû rejoindre n’est pas la vraie armée, mais une armée qui maltraite les gens et fait des massacres. Vous déclarez par ailleurs avoir peur de cette armée en raison de votre confession musulmane. Vous avez peur de retourner au pays, craignant d’être condamné pour insoumission.

Il résulte de vos déclarations que vous êtes membre du parti SDA, mais que vous n’avez pas d’opinions politiques.

Je souligne tout d’abord que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même la crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne constitue pas une persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, une loi d’amnistie pour les déserteurs et réfractaires a été votée par le parlement de la République Fédérale de Yougoslavie au mois de février et est entrée en vigueur en mars 2001. Vous ne risquez par conséquent plus d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour ne pas vous être présenté pour accomplir le service militaire.

Force est également de constater qu’en octobre 2000 le régime politique a changé en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives du 23 décembre 2000 en Serbie. La République Fédérale de Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 25 juillet 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 mai 2001.

Par décision du 8 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

A l’encontre de la décision ministérielle de rejet du 23 mai 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation par requête déposée le 20 août 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait originaire de la Serbie et de confession musulmane, qu’il aurait reçu plusieurs convocations pour rejoindre l’armée yougoslave, mais qu’il aurait réussi chaque fois à obtenir un « sursis », qu’ayant reçu une nouvelle convocation en juin 1998, il aurait été contraint de quitter son pays, étant donné qu’il n’aurait pas voulu participer à « des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité ».

Il soutient qu’en cas de retour dans son pays, il risquerait d’être condamné à une lourde peine d’emprisonnement, étant donné que la loi d’amnistie ne lui serait pas applicable.

A ce titre, il se réfère à un article paru dans le journal « Vesti » en date du 19 mars 2001.

Il fait encore valoir qu’il existerait une crainte de persécution dans son chef en raison de son appartenance au parti politique SDA et de sa confession musulmane.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, sa religion musulmane et son appartenance à un parti politique d’opposition, ainsi que la situation générale des musulmans en Serbie, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 4 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Concernant les craintes de persécutions en raison de son appartenance au parti politique SDA, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, néanmoins la simple qualité de membre d’un tel parti ne constitue pas, à elle-seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié (trib. adm. 12 mars 1997, n° 9674 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, I. Réfugiés, C) Convention de Genève, n°40 p. 137 et autres décisions y citées).

En l’espèce, force est de constater que le demandeur, lors de son audition, a lui-même déclaré qu’il n’était que « simple membre », qu’il n’avait pas de fonction au sein du parti et qu’il n’avait pas d’opinions politiques.

En ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité « bochniaque » de la Serbie, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions invoquées par le demandeur, basées sur son appartenance à la minorité « bochniaque », sont vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des « bochniaques ».

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, son mandataire ayant informé le tribunal par lettre datée du 21 février 2002 qu’il lui était impossible de se présenter à l’audience fixée pour les plaidoiries, mais qu’il ne s’opposerait pas à ce que l’affaire soit prise en délibéré à cette date, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 avril 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13896
Date de la décision : 10/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-10;13896 ?

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