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10/04/2002 | LUXEMBOURG | N°13790

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 avril 2002, 13790


Tribunal administratif N° 13790 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13790 du rôle, déposée le 27 juillet 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeur

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Tribunal administratif N° 13790 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2001 Audience publique du 10 avril 2002 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13790 du rôle, déposée le 27 juillet 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 30 avril 2001, notifiée en date du 21 mai 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 26 juin 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 5 avril 2000, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié que au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 19 janvier 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame …, par lettre du 30 avril 2001, notifiée en date du 21 mai 2001, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez ne pas avoir été membre d’un parti politique. Vous indiquez que la vie en Albanie ne serait pas sûre. Vous invoquez que vos cousins ont tué un cambrioleur qui s’était introduit dans leur magasin en décembre 1999 et que maintenant ils auraient peur de la vengeance. Vous aussi vous auriez eu peur de vous déplacer. Vous n’auriez pas subi de persécutions personnelles. Vous auriez peur d’être kidnappée.

Force est cependant de constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les problèmes dont vous faites état relèvent plutôt de la criminalité de droit commun.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Madame … en date du 22 juin 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 26 juin 2001.

Par requête déposée en date du 27 juillet 2001, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 30 avril et 26 juin 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits qu’elle lui avait soumis, en rejetant, à tort, sa demande d’asile comme étant non fondée, alors qu’elle estime remplir les critères en vue de la reconnaissance du statut de réfugié au motif qu’elle appartiendrait à un groupe social particulièrement vulnérable pour lequel il serait impossible « d’obtenir de la part des autorités en place une protection suffisante ».

A ce titre, elle fait exposer qu’elle serait née à Shkoder en Albanie, qu’elle serait de religion musulmane et qu’elle aurait quitté son pays par peur d’être victime de représailles de la part de « certains individus » suite à l’homicide perpétré par l’un de ses cousins à l’égard d’un cambrioleur qui se serait introduit dans leur magasin. Elle fait valoir que les membres de la famille du cambrioleur tué chercheraient par tous les moyens de se venger et à défaut de trouver l’auteur de l’homicide, lequel aurait entretemps pris la fuite, la vengeance en question risquerait de se diriger contre elle. Elle soutient que ce risque serait réel et sérieux, étant donné qu’il s’inscrirait dans la pratique de la « vendetta », elle-même constituant une émanation d’une loi non écrite qui serait la loi du « kanun » et qu’aucune autorité n’aurait pu supprimer cette loi du « kanun » qui ferait dominer la pratique de « œil pour œil, dent pour dent ». A l’appui de ses affirmations, elle verse un certificat qui émanerait du commissariat de police de Shkoder attestant que « Madame … est aussi recherchée par la famille du défunt ».

Elle fait finalement valoir que les autorités en place ne s’opposeraient pas à l’application de la règle du « kanun » qui voudrait que « la mort des uns soit réparée par la mort des autres » et que même si les prédites autorités auraient une volonté réelle de remédier à cet état de choses et qu’elles tenteraient d’assurer sa protection, elles seraient néanmoins incapables d’assurer sa sécurité, étant donné que la « situation en Albanie est très largement déficiente au niveau sécuritaire ».

En droit, la demanderesse conclut à la réformation des décisions ministérielles déférées pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient à la demanderesse d’asile d’établir avec la précision requise qu’elle remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n° 12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition du 19 janvier 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble avec les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant l’unique motif de persécution mis en avant par la demanderesse, à savoir celui tiré des représailles qu’elle risquerait de subir en cas de retour dans son pays de la part de « certains individus » en raison de la loi du « kanun », sans spécifier les raisons pour lesquelles elle aurait été choisie parmi les membres de sa famille, force est de constater que les faits relatés, même à les supposer établis, ne constituent pas des motifs susceptibles de voir reconnaître à la demanderesse le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, il y a lieu de retenir qu’il n’est ni prouvé ni soutenu de manière crédible que la demanderesse avait fait l’objet de menaces, d’autant plus que lors de son audition, elle avait déclaré qu’elle n’a jamais été persécutée personnellement et que sa famille n’avait pas reçu des menaces concrètes de la part de la famille du cambrioleur tué. A ce titre, elle a encore précisé que « la vengeance se passe normalement entre hommes ».

Même à supposer les faits relatés établis, il s’agit de faits qui s’inscrivent dans le cadre de la criminalité de droit commun, qui, d’après la pièce versée en cause par la demanderesse, ont été signalés aux autorités policières de son pays. Il n’est pareillement pas établi que la demanderesse ne puisse pas bénéficier de la protection des autorités de son pays ou que ces autorités seraient incapables de lui offrir une protection appropriée. En effet, une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est qu’un réfugié ? p. 113, n°73-s).

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé à la demanderesse la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 avril 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13790
Date de la décision : 10/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-04-10;13790 ?

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