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21/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13774

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mars 2002, 13774


Tribunal administratif N° 13774 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 21 mars 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13774 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat,

tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le 2 novembr...

Tribunal administratif N° 13774 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 21 mars 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13774 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le 2 novembre 1970 à Konice (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme …, née le 2 avril 1969 à Ramosevo (Tutin/Serbie), agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 avril 2001, notifiée le 22 mai 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pol URBANY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 26 avril 1999, M. … et son épouse, Mme …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il se dégage d’un rapport du 22 juillet 1999 du susdit service de police judiciaire de la gendarmerie grand-ducale que « eine Nachuntersuchung hat ergeben, dass oben genannter Ausländer [M. …] bei den deutschen Behörden in den Jahren 1995 bis 1999 insgesamt neunmal unter den oben genannten Personalien wegen Verstoss gegen das Ausländergesetz, Diebstahls, resp. Identitätsüberprüfung erkennungsdienstlich erfasst wurde und zwar unter der vorgenannten Identität, resp. unter der Identität von : - MASOVIC Murat, geb.

29.11.1977 zu Melaje / BIH ; - TITIN Hakija, geb. 02.11.1970 zu Konice.

Die wahren Personalien der besagten Person sind nicht bekannt ».

Les époux … furent en outre entendus séparément en date du 6 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 30 avril 2001, notifiée le 22 mai 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez reçu un appel pour faire la réserve en mars ou en avril 1999, mais que vous n’y auriez pas donné suite. Vous risqueriez d’être condamné à une peine d’emprisonnement en raison de votre insoumission. Vous précisez que vous auriez été membre du parti SDA, mais que l’adhésion audit parti ne vous aurait pas causé de problèmes. Vous seriez par ailleurs en faveur de l’indépendance du Sandzak. Vous relevez que vous auriez quitté votre pays à cause de la guerre. Vous estimez que la situation ne s’améliorerait pas tant que Milosevic y serait au pouvoir. Vous auriez été maltraité à plusieurs reprises par la police civile. Enfin, votre peur du régime politique de Milosevic et du nationalisme serait motivée par votre religion et par vos opinions politiques.

Madame, vous exposez que vous auriez quitté votre pays à cause de la guerre. Vous dites que vous ne pourriez pas retourner dans votre pays parce que votre mari aurait été appelé à la réserve et parce que vous auriez tout perdu. De plus, votre maison aurait été cambriolée. Votre peur des Serbes s’expliquerait par le fait que vous êtes musulmane. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

En outre, la simple appartenance à un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique. Vous admettez d’ailleurs ne pas avoir eu de problèmes en raison de votre appartenance audit parti.

Les autres motifs invoqués (maltraitance par la police civile) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

En ce qui vous concerne, Madame, le cambriolage dont vous faites état ne saurait justifier une crainte de persécution.

Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 juin 2001, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 30 avril 2001.

Par décision du 27 juin 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 25 juillet 2001, les consorts … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 30 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de la région du Sandzak et qu’ils seraient de confession musulmane, que M. … aurait fait son service militaire en 1991, c’est-à-dire à l’époque du premier conflit yougoslave et qu’il aurait dû participer aux combats contre l’armée slovène, qu’en mars 1999, il aurait été appelé à la réserve militaire, afin de participer à la guerre du Kosovo et qu’en raison de sa réprobation de ce conflit armé dirigé contre d’autres musulmans, il aurait refusé de donner suite à ladite convocation. Les demandeurs ajoutent qu’en raison de son insoumission, M. … serait recherché par la police militaire et qu’il risquerait d’être condamné par un tribunal militaire comme déserteur.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de M. …, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Sandzak, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date du 6 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution repris dans le cadre du recours contentieux relativement à l’état d’insoumission de M. …, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne la situation des demandeurs en tant que membres de la minorité musulmane du Sandzak (Serbie), il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les allégations vagues et non autrement circonstanciées des demandeurs relativement à leurs craintes envers les Serbes en raison de leur appartenance à la minorité musulmane sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 21 mars 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13774
Date de la décision : 21/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-21;13774 ?

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