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21/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13771

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mars 2002, 13771


Tribunal administratif N° 13771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 21 mars 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13771 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avo

cat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … …, né le … à...

Tribunal administratif N° 13771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 21 mars 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13771 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … …, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Rozaje, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 [sic] avril 2001, notifiée le 23 mai 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pol URBANY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date des 15 juin et 12 juillet 1999, respectivement Mme … …, agissant pour elle-

même, ainsi qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et son époux, M. … …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus respectivement en date des mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus en date des 15 juin et 13 juillet 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 13 avril 2001, notifiée le 23 mai 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que la police militaire serait venue vous chercher pour la réserve en date du 27 mars 1999. Vous auriez cependant déserté en date du 16 avril 1999, car vous n’auriez plus supporté les atrocités commises par les Serbes sur la population albanaise du Kosovo. Vous risqueriez d’être emprisonné voire exécuté. Votre peur de la prison serait liée à votre religion et à votre désertion. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Madame, vous auriez quitté le Monténégro à cause de la guerre. Des militaires auraient occupé votre maison. De plus, votre mari aurait déserté de l’armée et risquerait d’être tué. Votre peur des militaires et de la guerre s’expliquerait par votre religion. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la désertion est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Madame, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 22 juin 2001, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 13 avril 2001.

Par décision du 29 juin 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 25 juillet 2001, les consorts … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 13 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de la ville de Rozaje située au Monténégro et, plus particulièrement dans la région du Sandzak, qu’ils seraient de confession musulmane, que M. … aurait fait son service militaire en 1980/1981, qu’en mars 1999, il aurait été appelé à la réserve militaire, qu’il aurait dû participer à la guerre du Kosovo et qu’en raison des « atrocités commises par les militaires » contre les Albanais du Kosovo, ainsi que de sa réprobation de ce conflit armé dirigé contre d’autres musulmans, il aurait déserté de l’armée fédérale yougoslave. Les demandeurs ajoutent que M. … serait recherché par la police militaire, qu’il risquerait d’être condamné par un tribunal militaire comme déserteur et que la loi d’amnistie votée ne lui serait pas applicable. Ils font également état de ce qu’ils appartiendraient à la minorité dite « bochniaque », sujette à de nombreuses discriminations et que, malgré les récents changements politiques, la situation générale régnant dans leur pays d’origine resterait très instable et dangereuse.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec la désertion de M. …, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Sandzak, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Ils ajoutent que leur fils Semih souffrirait de « graves troubles psychologiques » en raison des événements terribles qu’il aurait vécus lors de leur départ de la Yougoslavie et qu’il nécessiterait des soins spécialisés.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date des 15 juin et 13 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur la désertion de M. …, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que la désertion constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

En ce qui concerne la situation des demandeurs en tant que membres de la minorité « bochniaque » du Monténégro, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les allégations vagues et non autrement circonstanciées des demandeurs relativement à leurs craintes envers la population serbe en raison de leur appartenance à la minorité « bochniaque » sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des « bochniaques ».

Enfin, les problèmes de santé d’un des fils des époux …, documentés par un certificat médical produit en cause, aussi dramatiques qu’ils puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention et qu’il n’est par ailleurs pas établi qu’un suivi médical leur soit refusé dans leur pays d’origine pour une des raisons prévues à ladite Convention.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 21 mars 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13771
Date de la décision : 21/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-21;13771 ?

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