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20/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13882

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2002, 13882


Tribunal administratif N° 13882 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2001 Audience publique du 20 mars 2002

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Recours formé par l'a.s.b.l. … contre des décisions du gouvernement en conseil, du Premier ministre et du secrétaire d'Etat à la Fonction publique en matière de congé syndical

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 17 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de l'association sans but lucratif …, en abrégé …., établie et ayant son siège...

Tribunal administratif N° 13882 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2001 Audience publique du 20 mars 2002

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Recours formé par l'a.s.b.l. … contre des décisions du gouvernement en conseil, du Premier ministre et du secrétaire d'Etat à la Fonction publique en matière de congé syndical

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 17 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l'association sans but lucratif …, en abrégé …., établie et ayant son siège à L-8011 Strassen, 389, route d'Arlon, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation d’une décision du gouvernement en conseil du 2 février 2001, d'une décision du Premier ministre du 18 mai 2001, ainsi que d'une décision du secrétaire d'Etat à la Fonction publique du 30 avril 2001, par lesquelles l'octroi d'un congé syndical lui a été refusé;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2002 au nom de la demanderesse;

Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Se prévalant du résultat aux élections à la chambre des fonctionnaires et employés publics de mars 2000, où elle avait obtenu 23,56 % des suffrages dans la catégorie A, mais aucun siège, l'a.s.b.l. … saisit, par courrier du 25 avril 2000, le Premier ministre d'une demande d'octroi d'un congé syndical. Celui-ci décida de soumettre la demande à l'avis de la ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative et d'en saisir ensuite le conseil de gouvernement.

Le 21 août 2001, le secrétaire d'Etat à la Fonction publique et à la Réforme administrative répondit qu'il était d'avis que la répartition du congé syndical devait se faire de manière proportionnelle aux sièges obtenus aux élections professionnelles. L'… n'ayant obtenu aucun siège ne pourrait donc prétendre à un congé syndical.

2 Le 2 février 2001, le conseil de gouvernement décida de ne pas se départir de la ligne de conduite dont il s'était doté le 27 mars 1996, à savoir que l'attribution d'un congé syndical se ferait en fonction de la représentation à la chambre professionnelle. L'… n'ayant obtenu aucun siège, le conseil décida d'exclure l'association en question du bénéfice de tout congé syndical.

Répondant à un courrier du Premier ministre du 8 février 2001 qui se référait à une lettre de l'… du 5 février 2001 qui réclamait contre l'absence de réponse à sa demande d'octroi d'un congé syndical formulée le 25 avril 2000, le secrétaire d'Etat à la Fonction publique et à la Réforme administrative renvoya à son courrier du 21 août 2000 et à la décision du conseil de gouvernement du 2 février 2001 et estima qu'il n'y avait pas d'élément nouveau à ajouter.

Par courrier du 18 mai 2001, le Premier ministre transmit à l'… copie de la réponse du secrétaire d'Etat, ainsi que de l'ensemble de la correspondance échangée au sujet du dossier.

Par requête déposée le 17 août 2001, l'… a introduit un recours tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du gouvernement en conseil du 2 février 2001, du Premier ministre du 18 mai 2001 et du secrétaire d'Etat à la Fonction publique et à la Réforme administrative du 30 avril 2001.

Aucun texte de loi ne prévoyant un recours au fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.

Le recours subsidiaire en annulation est irrecevable pour autant qu'il est dirigé contre la prétendue décision du Premier ministre du 18 mai 2001, étant donné que celui-ci, sans prendre aucune décision, ne fit que transmettre à l'… copie de la réponse du secrétaire d'Etat, ainsi que de l'ensemble de la correspondance échangée au sujet du dossier.

Le délégué du gouvernement soulève l'irrecevabilité du recours pour violation du principe "ne bis in idem", sinon pour violation du principe de l'autorité de la chose jugée. Il se prévaut à cet effet d'un jugement du tribunal administratif du 26 janvier 1998 ayant rejeté un recours entre les mêmes parties, ayant le même objet, à savoir l'octroi d'un congé syndical, et la même cause, à savoir la décision du gouvernement en conseil du 27 mars 1996, précitée.

Le principe non bis in idem exprime l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et signifie qu'une décision pénale définitive empêche que les faits délictueux qui en ont fait l'objet ne donnent lieu à une nouvelle poursuite (v. H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, 3e éd., Litec, n° 253, p. 540). Il ne saurait recevoir application dans le cadre d'un litige de droit administratif.

L'exception de chose jugée, applicable en matière administrative, interdit de remettre en cause ce qui a été définitivement jugé, et se définit par la triple identité de parties, de cause et d'objet.

En l'espèce, les parties d'une part et l'objet – à savoir l'octroi d'un congé syndical – d'autre part, sont restés identiques depuis le jugement rendu par le tribunal administratif le 26 janvier 1998. En revanche, les deux litiges diffèrent par leur cause. En effet, la cause du litige se définit par le fondement juridique sur base duquel l'objet est recherché, soit la règle de droit ou la catégorie juridique qui sert de fondement à la demande ou encore le fait qui constitue le 3 fondement du droit (v. Cour adm. 15 mars 2001, Pas. adm. 2001, V° Procédure contentieuse, n° 78). Or, en l'espèce, le fondement juridique sur base duquel l'objet est recherché est constitué par la prétention d'une représentativité nouvellement acquise par l'… depuis les élections à la chambre des fonctionnaires et employés publics de mars 2000, ainsi que par les décisions de refus prises par l'administration en 2001, alors que celle ayant donné lieu au jugement du 26 janvier 1998 était basée sur une décision du gouvernement en conseil du 27 mars 1996.

C'est à tort que, dans ce contexte, le gouvernement soutient que ce serait toujours la décision du 27 mars 1996 qui conditionnerait le refus actuellement opposé à l'… concernant ses prétentions. En réalité, après les élections de 2000, la question de la représentativité s'est posée à nouveau et ce sont les décisions administratives subséquentes qui ont matérialisé le refus de lui octroyer un congé syndical. S'il est vrai que le gouvernement s'est référé, dans ses nouvelles décisions, à la décision du 27 mars 1996 en tant que "ligne de conduite", ce n'est pas cette décision qui constitue l'acte administratif faisant grief dans le présent litige et qui en constitue la cause. – Il y a encore lieu, dans ce contexte, de souligner que l'article 34 du règlement grand-ducal modifié du 22 août 1985 fixant le régime des congés des fonctionnaires et employés de l'Etat, oblige le gouvernement à désigner tous les cinq ans les organisations bénéficiaires du congé syndical. Le jugement invoqué du 26 janvier 1998 a par ailleurs retenu que "le fait que la réglementation en vigueur impose une révision de [la] répartition [des sièges] tous les cinq ans impose une réévaluation régulière de la représentativité des syndicats et assure une adaptation régulière de l'attribution du congé en fonction de cette représentativité." L'exception de chose jugée tirée du jugement rendu entre parties le 26 janvier 1998 est partant à rejeter.

Le délégué du gouvernement conteste encore la recevabilité du recours en se prévalant du "principe général en droit administratif que le recours doit être introduit contre l'acte dont la régularité est contestée." Il reproche à l'… d'avoir dirigé son recours contre les décisions ayant refusé de lui attribuer un congé syndical tout en contestant cependant la régularité d'une autre décision du gouvernement, à savoir celle de ne pas lui avoir attribué de siège à la chambre des fonctionnaires et employés publics à la suite des élections aux chambres professionnelles de l'année 2000. Or, cette décision serait légale et de toute manière non susceptible de recours, le délai pour former un tel recours ayant expiré 15 jours après le scrutin. Il en conclut que la décision de refus du gouvernement d'attribuer un congé à la demanderesse ne saurait être viciée par des irrégularités ayant éventuellement affecté les opérations électorales aux chambres professionnelles, de sorte que le recours dont le tribunal administratif est actuellement saisi et qui tirerait son unique fondement dans une prétendue violation des règles gouvernant les élections aux chambres professionnelles, serait irrecevable.

Le recours dont le tribunal est actuellement saisi n'est pas dirigé contre la répartition des sièges au sein de la chambre des fonctionnaires et des employés publics suite aux élections de mars 2000. En effet, l'… ne sollicite pas une modification de l'attribution de ces sièges. – En revanche, elle fait de cette répartition, qu'elle estime illégale, en tant qu'elle a servi de base à la décision du gouvernement de lui refuser son congé syndical, un moyen parmi d'autres pour critiquer le refus en question. D'une part, elle est en droit d'invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de cette répartition qui, au cas où elle serait constatée par le tribunal, ne remettrait pas en cause la répartition des sièges, mais pourrait servir de base au 4 succès de la demande en annulation des décisions de refus d'octroi du congé syndical, pour le cas où le tribunal retiendrait que cette répartition conditionne nécessairement l'octroi ou le refus du congé syndical. D'autre part, à supposer que ce serait à tort que l'… invoque l'illégalité de la répartition des sièges à la chambre professionnelle, ce ne serait pas la recevabilité de la demande qui serait affectée, mais, le cas échéant, son bien-fondé.

Le recours en annulation étant par ailleurs régulier quant aux exigences de forme et délai, il est recevable.

Au fond, l'… fait exposer que lors des dernières élections à la chambre des fonctionnaires et employés publics de mars 2000, elle a obtenu 23,56 % des suffrages dans la catégorie A comprenant les fonctionnaires de l'Etat et des établissements publics appartenant à la carrière supérieure, mais qu'en dépit de ce score et en violation des dispositions du règlement grand-ducal du 17 janvier 1984 portant 1° réglementation de la procédure électorale pour la Chambre des fonctionnaires et employés publics; 2° répartition des fonctionnaires dans les catégories A, B et C prévues à l'article 43ter de la loi modifiée du 4 avril 1924 portant création de chambres professionnelles à base élective, elle ne s'est vu attribuer aucun siège. Tout en soulignant que l'attribution critiquée heurte le principe du pluralisme syndical, elle estime qu'en cas d'application correcte des dispositions en question, elle se serait vu attribuer un siège et, par voie de conséquence, un congé syndical correspondant.

Le délégué du gouvernement estime que la répartition des sièges a été faite de manière régulière. Il ajoute qu'en ce qui concerne le principe du pluralisme syndical, "il ne suffit pas d'affirmer qu'un principe, qui ne dispose apparemment pas d'assise légale et qui n'est pas autrement défini, ressorte d'un jugement d'une juridiction pour en imposer le respect à un tiers." Il reproche à la demanderesse de rester en défaut de déterminer le fondement légal , le contenu et la valeur de ce principe, ce qui le mettrait dans l'impossibilité de se défendre. Il rappelle qu'il se dégage du jugement rendu entre parties le 26 janvier 1998 que la répartition du congé syndical de manière proportionnelle aux sièges obtenus aux élections professionnelles ne va pas à l'encontre du pluralisme syndical.

En vertu de l'article 34 du règlement grand-ducal modifié du 22 août 1985 fixant le régime des congés des fonctionnaires et employés de l'Etat, des congés et dispenses de service pour activités syndicales au profit de leurs membres peuvent être mis à la disposition des organisations syndicales du personnel de l'Etat. Tous les cinq ans le gouvernement en conseil désigne les organisations bénéficiaires, détermine l'étendue et le champ d'application de ces congés et dispenses de service, en arrête la répartition et les modalités d'attribution.

Le texte réglementaire en question ne fait pas dépendre l'attribution du congé syndical du nombre de sièges obtenus par un syndicat aux élections à la chambre des fonctionnaires et employés publics. A défaut de corrélation légale entre le nombre de sièges et le droit à l'attribution d'un congé syndical, l'affirmation, à la supposer avérée, que la répartition des sièges est illégale, ne saurait nécessairement entraîner l'effet recherché par la demanderesse.

Le nombre de sièges obtenus aux élections à la chambre des fonctionnaires et employés publics s'inscrit dans le cadre plus général de la représentativité des syndicats parmi les agents publics dont il constitue un critère, le cas échéant parmi d'autres. En d'autres termes, si l'obtention d'un certain nombre de sièges témoigne forcément d'une certaine 5 représentativité, l'inverse n'est pas vrai dans ce sens que l'absence d'attribution d'un siège n'établit pas péremptoirement un défaut de représentativité.

Dans ce contexte, le désaccord entre l'… et le gouvernement concernant l'attribution des sièges lors des élections professionnelles de mars 2000 revêt une certaine pertinence.

Les parties sont d'accord pour retenir que l'… a obtenu 23,56 % des suffrages dans la catégorie A lors de ces élections. Après l'attribution des deux sièges en fonction du nombre électoral, l'… n'ayant obtenu aucun de ces deux sièges, le troisième siège restait à attribuer en fonction du quotient le plus élevé. En principe, la liste de l'…, qui avait le quotient le plus élevé, aurait dû se faire attribuer le siège en question. Le bureau électoral, se basant sur l'article 43ter, alinéa 5 de la loi du 4 avril 1924, ainsi que sur l'article 42, alinéa 8 du règlement grand-ducal modifiée du 17 janvier 1984, précités, et retenant qu'aucune administration de l'Etat ni aucun établissement public ne peut occuper plus de deux mandats pour chacune des catégories A, B et C, étant précisé que les différentes branches d'enseignement sont à considérer comme formant une seule administration, décida que le troisième siège ne pouvait pas être attribué à un fonctionnaire relevant de l'enseignement, les deux premiers ayant déjà été attribués à des fonctionnaires relevant de cette branche d'administration. La liste présentée par l'… n'ayant comporté que des enseignants, elle ne se vit pas attribuer le troisième siège.

Les parties sont en désaccord sur la régularité de cette attribution.

En réalité, la question de la régularité de l'attribution du troisième siège lors des élections professionnelles de mars 2000 est indifférente pour la solution du présent litige. Elle n'est pertinente que pour autant que le gouvernement a fait de la répartition des sièges lors de ces élections le seul critère pour l'attribution du congé syndical.

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que c'est la représentativité des syndicats qui justifie tant le principe que l'importance de l'octroi d'un congé syndical. S'il est vrai que la répartition des sièges aux élections professionnelles évalue en principe de la manière la plus objective cette représentativité (v. Jurisclasseur, Droit administratif, fasc. 175, Syndicats, n° 127; trib. adm. 26 janvier 1998, n° 9712 du rôle), toujours est-il que si cette répartition des sièges est affectée en raison de critères étrangers à la représentativité respective des listes en présence, elle ne saurait servir mécaniquement à l'attribution du congé syndical qui doit être réparti en fonction de la représentativité des syndicats.

En l'espèce, en ne prenant pas en considération la circonstance que l'…, ayant obtenu 23,56 % des suffrages dans la catégorie où elle avait présenté une liste, s'est vu refuser un siège à la chambre des fonctionnaires et employés publics pour une raison étrangère au nombre des suffrages obtenus et donc à sa représentativité, le gouvernement en conseil et le secrétaire d'Etat à la Fonction publique et de la Réforme administrative ont violé la loi, de sorte que leurs décisions doivent encourir l'annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

6 se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, déclare irrecevable le recours pour autant qu'il est dirigé contre le contenu de la lettre du Premier ministre du 18 mai 2001, le déclare recevable et fondé pour le surplus, partant annule les décisions respectives du gouvernement en conseil du 2 février 2001 et du secrétaire d'Etat à la Fonction publique et à la Réforme administrative du 30 avril 2001 et renvoie le dossier à ces autorités, condamne l'Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 20 mars 2002 par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13882
Date de la décision : 20/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-20;13882 ?

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