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20/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13308

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2002, 13308


Tribunal administratif N° 13308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 20 mars 2002

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Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions du directeur général de la police grand-ducale et une décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur en matière de candidature

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13308 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître Claude SPEICHER, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l'Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, , demeurant à …, tendant pr...

Tribunal administratif N° 13308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 20 mars 2002

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Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions du directeur général de la police grand-ducale et une décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur en matière de candidature

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13308 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître Claude SPEICHER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, , demeurant à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’une décision du directeur général de la police grand-ducale du 3 janvier 2001 par laquelle la candidature de Monsieur … pour l’épreuve de sélection en vue d’une affectation dans le cadre administratif de la police grand-ducale n’a pas été retenue, 2) d’une décision confirmative dudit directeur général prise en date du 11 janvier 2001, suite à un recours gracieux de Monsieur … du 9 janvier 2001 et 3) d’une décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur, suite à son silence de plus de trois mois postérieurement au recours hiérarchique introduit par Monsieur … le 17 janvier 2001 à l’encontre des deux décisions susvisées du directeur général de la police grand-ducale;

Vu le mémoire en réponse déposé le 21 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;

Vu le mémoire en réplique déposé le 11 juillet 2001 au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur;

Vu les mémoires additionnels déposés, suite à la demande du tribunal, par respectivement le délégué du gouvernement et le mandataire du demandeur les 28 novembre et 6 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les deux décisions du directeur général de la police grand-ducale;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Claude SPEICHER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Suivant une note de service n° 168/2000 du 14 novembre 2000, la direction générale de la police grand-ducale informa les membres du corps de la police grand-ducale qu’il serait procédé à une épreuve de sélection destinée à la carrière de l’inspecteur aux fins de pourvoir, d’une part, à différents remplacements dans le cadre administratif de la police, notamment celui d’un fonctionnaire affecté à la Direction des Ressources Humaines, section Formation, et d’un fonctionnaire à la Direction Opérations et Prévention, section Sécurité/Renseignements, et, d’autre part, à un renforcement dans ledit cadre administratif et que la sélection se ferait sur base d’une épreuve de sélection fixée au 16 janvier 2001. Ladite note de service renseigna en outre sur les conditions d’admissibilité, les formalités de candidature, les matières faisant l’objet de l’épreuve de sélection, les conditions de réussite, les lieu et horaire de ladite épreuve et la composition de la commission chargée de procéder à l’épreuve.

Le 17 novembre 2000, Monsieur … posa sa candidature pour participer à l’épreuve de sélection en précisant son intérêt pour l’emploi à la Direction des Ressources Humaines, section Formation, sinon celui à la Direction Opérations et Prévention, section Sécurité/Renseignements.

Par un transmis du 3 janvier 2001, le directeur général de la police grand-ducale, ci-

après dénommé le « directeur général », l’informa, par la voie hiérarchique, que sa candidature pour l’épreuve de sélection n’avait pas été retenue. Ladite décision est motivée comme suit:

« enquête judiciaire et disciplinaire (…) en cours ». Ladite décision fut portée à la connaissance de l’intéressé le 8 janvier 2001.

Par lettre du 9 janvier 2001, Monsieur …, par le biais de son mandataire, introduisit un recours gracieux devant le directeur général.

Le 11 janvier 2001, le directeur général confirma sa décision initiale de refus d’agréer Monsieur … pour l’épreuve du 16 janvier 2001.

Par lettre datée au 16 janvier 2001, notifiée le lendemain, le mandataire de Monsieur … introduisit un recours hiérarchique devant le ministre de l’Intérieur et sollicita que l’intéressé soit autorisé à participer à l’examen prévu.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 2001, Monsieur … a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions susvisées du directeur général en date des 3 et 11 janvier 2001 et de la décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur, suite à son silence de plus de trois mois postérieurement au recours hiérarchique du 17 janvier 2001.

Aucune disposition légale ne conférant compétence, à la juridiction administrative, pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation des décisions critiquées.

Aucun recours spécifique n'étant prévu en la matière, le recours en annulation, recours de droit commun, est donc en principe admissible contre les décisions critiquées.

Le recours en annulation est également recevable dans la mesure où il émane du destinataire direct des actes litigieux et qu’il a été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait relever qu’aucune enquête disciplinaire ne serait diligentée à son encontre.

Tout en admettant qu’une enquête judiciaire aurait été effectuée et que la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Diekirch serait actuellement saisie du dossier afférent, il soutient que pareil état des choses ne saurait justifier les décisions refusant son agréation pour l’épreuve de sélection dont il est question en cause, au motif que pareilles décisions seraient contraires au principe de la présomption d’innocence.

Sur ce, il conclut à la réformation ou à l’annulation des décisions querellées pour excès ou détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés.

Enfin, il relève que la décision implicite de confirmation du ministre de l’Intérieur ne serait pas motivée, sans pour autant en tirer une conclusion ou formuler un moyen.

Le délégué du gouvernement précise que la décision du directeur général du 3 janvier 2001, telle que confirmée le 11 janvier 2001, serait motivée exclusivement par le fait qu’une enquête judiciaire menée à l’encontre de Monsieur … serait en cours. Concernant l’enquête disciplinaire, il précise que l’administration aurait suspendu l’action disciplinaire « en attendant la décision de la juridiction répressive ».

Le représentant étatique soutient que le directeur général aurait « agi correctement en refusant la candidature du requérant en appliquant le point 2b) de sa note de service du 14 novembre 2000 où il est stipulé que l’agrément dépend des qualités professionnelles du candidat. Or ces qualités sont sujettes à caution étant donné qu’une enquête judiciaire est en voie d’instruction contre le requérant et qu’il est inconcevable de l’affecter dans ces conditions à un poste-clé de l’administration ».

Il ajoute encore que le refus d’agréation prononcé à l’encontre de l’intéressé ne l’affecterait pas en ce qui concerne l’évolution de sa carrière professionnelle, au motif que l’affectation à la direction générale n’est pas « honorée » par une promotion en grade.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur admet le principe du pouvoir du directeur général d’agréer un candidat, cependant, il soutient que ledit pouvoir ne laisserait pas de place pour le « libre arbitre » et que seules les condamnations définitives inscrites aux casiers judiciaire et disciplinaire pourraient être prises en considération.

Lors de l’audience du 19 novembre 2001 à laquelle l’affaire avait initialement été fixée pour plaidoiries, le tribunal a invité les parties à fournir des précisions supplémentaires par rapport au cadre législatif ou réglementaire dans lequel s’insère la note de service n° 168/2000 du 14 novembre 2000 de la direction générale de la police grand-ducale, notamment en ce qu’elle fixe les modalités d’admission à l’épreuve de sélection prévisée et à se prononcer sur la légalité de la base réglementaire des décisions critiquées.

Faisant suite à cette invitation, le délégué du gouvernement soutient que la base légale de la note de service précitée du 14 novembre 2000 résiderait dans l’article 25 du règlement grand-ducal modifié du 10 août 1972 concernant les conditions de recrutement, d’instruction et d’avancement des sous-officiers et agents de police maintenu en vigueur par l’article 101 de la loi du 31 mai 1999 sur la Police et l’Inspection générale de la Police.

Le demandeur fait rétorquer que ladite disposition n’aurait plus vocation à s’appliquer depuis la réforme instituée par la loi précitée du 31 mai 1999.

La question relative à la légalité de la base réglementaire des décisions déférées, soulevée d’office par le tribunal et au sujet de laquelle les parties ont été invitées à développer leurs observations respectives amène le tribunal à relever de prime abord qu’en vertu de l'article 36 de la Constitution, le Grand-Duc est investi du pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois.

Le privilège d'exécution des lois conféré par la Constitution au Grand-Duc constitue en même temps pour celui-ci une obligation dont il ne saurait se décharger sur un autre organe par voie de subdélégation. Ainsi, un règlement grand-ducal ne peut confier des mesures supplémentaires d'exécution notamment à un règlement ministériel ou à un arrêté ministériel (v. Alfred Loesch, Le pouvoir réglementaire du Grand-Duc, Pas. 14, doctr., p. 60; F.W., note critique sous Cass. 21 décembre 1961, Pas. 18, p. 441 et s; cf. Cour 26 mai 1951, Pas. 15, 154).

Or, au vœu de l’article 25 du règlement grand-ducal précité du 10 août 1972, les « inspecteurs-chefs-secrétaires » sont nommés à la direction de la police et aux commandements de circonscription par le ministre de la Force publique « à la suite d’une sélection dont les modalités sont arrêtées par le Directeur de la Police ». – Il convient de préciser que ladite disposition de l’article 25 n’a pas été abrogée, ni expressément ni, comme le soutient à tort le demandeur, implicitement, par la loi précitée du 31 mai 1999, dont l’article 101 prévoit expressément le maintien en vigueur des règlements existants non contraires, tel celui précité du 10 août 1972, jusqu’à la publication de ceux prévus par ladite loi.

Ainsi, au mépris du privilège - et de l’obligation - d’exécution des lois conféré au Grand-Duc, le directeur de la police s'est donc vu conférer, par la disposition réglementaire précitée, le pouvoir de fixer d'une manière générale et abstraite, les critères et procédure de sélection pour l’avancement notamment à la direction de la police grand-ducale.

Sur base de ladite disposition, la direction générale de la police grand-ducale, moyennant la note de service précitée du 14 novembre 2000, a fixé les conditions d’admissibilité, les formalités de candidature, les matières faisant l’objet de l’épreuve de sélection, les conditions de réussite, les lieu et horaire de ladite épreuve et la composition de la commission chargée de procéder à l’épreuve.

Il se dégage des considérations ci-avant faites que cette fixation de normes générales, par le biais d’une note de service interne, pour organiser les modalités de sélection pour l’avancement notamment à la direction de la police grand-ducale, alors que le pouvoir de ce faire relève du seul pouvoir exécutif, est contraire à la Constitution.

En vertu de l'article 95 de la Constitution, les tribunaux n'appliquent les mesures réglementaires que pour autant qu'elles sont conformes à la loi, la Constitution étant à assimiler à la loi sous cet aspect.

Ainsi, le tribunal doit refuser d’appliquer les conditions d’admissibilité et formalités de candidature fixées par la note de service prévisée du 14 novembre 2000 du directeur de la police.

Or, comme les décisions litigieuses sont basées sur lesdites conditions illégalement fixées, elles se révèlent être dépourvues de base légale et doivent encourir l'annulation.

Enfin, il y a lieu d’ajouter à titre surabondant qu’en tout état de cause, le refus d’admettre un candidat à une épreuve de sélection en vue d’un éventuel avancement au motif qu’il ferait l’objet d’une instruction pénale se heurte au principe de la présomption d’innocence et, en dernière analyse, il constitue une sanction disciplinaire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le déclare justifié partant annule les deux décisions susvisées du directeur général des 3 et 11 janvier 2001 ainsi que la décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur, suite à son silence de plus de trois mois postérieurement au recours hiérarchique du demandeur du 17 janvier 2001;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 20 mars 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13308
Date de la décision : 20/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-20;13308 ?

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