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17/03/2002 | LUXEMBOURG | N°15400

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2002, 15400


Tribunal administratif N° 15400 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 17 mars 2002

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Recours formé par Madame … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 15400 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, a

u nom de Mme …, née le … à Piskote (Kosovo/ex-

Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel qu’en...

Tribunal administratif N° 15400 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 17 mars 2002

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Recours formé par Madame … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 15400 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Mme …, née le … à Piskote (Kosovo/ex-

Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son fils …, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 juillet 2002, notifiée le 24 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2002 ;

Vu la lettre de Maître WALCH du 10 mars 2003, informant le tribunal de ce qu’il ne pourrait pas se présenter à l’audience du même jour fixée pour les plaidoiries de l’affaire et précisant que l’affaire ne nécessiterait pas d’explications orales de sa part et qu’elle pourrait être prise en délibéré ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 11 mars 2002, Mme …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son fils …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale.

Elle fut en outre entendue le 17 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 juillet 2002, notifiée le 24 juillet 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie fin février 2002 pour aller d’abord en Allemagne via l’Albanie et l’Italie. Vous avez séjourné quelques jours en Allemagne pour rendre visite à des amis et à des membres de votre famille. De là, un ami vous a emmenée jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 mars 2002.

Vous exposez que vous auriez séjourné en Allemagne de 1991 à 1999. Vous auriez déposé une demande d’asile dans ce pays mais celle-ci aurait été rejetée. Vous seriez retournée alors au Kosovo.

Vous expliquez que la situation économique est mauvaise au Kosovo, que votre maison a brûlé pendant la guerre et qu’elle n’est pas encore reconstruite. Votre famille vivrait actuellement de l’aide financière apportée par vos quatre frères vivant en Allemagne.

Le père de votre enfant habiterait encore à Gjakove.

Vous ajoutez que vous n’avez pas subi de persécution mais que vous êtes au Luxembourg parce que vos moyens d’existence au Kosovo seraient insuffisants.

Vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il convient d’abord de relever des divergences entre le récit de votre voyage fait aux services de Police Judiciaire et celui que vous avez fait à l’agent du Ministère de la justice.

Dans le premier récit, vous exposez que vous avez séjourné chez un ami de votre compagnon à Mönchengladbach, que vous avez rendu visite à votre cousine … et à votre frère … à Goch.

A l’agent du Ministère de la Justice, vous dites avoir traversé l’Albanie, l’Italie, la France et peut-être l’Allemagne, mais vous n’en seriez pas sûre.

De plus, il résulte de nos recherches que votre demande d’asile déposée en Allemagne a été rejetée par une décision du 26 juin 2001 et que vous êtes restés dans ce pays au moins jusqu’au mois d’août 2001.

Ces contradictions dans votre récit de voyage ainsi que les divergences de dates constatées jettent un doute sur toutes vos assertions et permettent de douter fortement de votre prétendu retour au Kosovo après 1999.

De plus, je prends acte de ce que vous dites n’avoir subi aucune persécution au Kosovo, mais être venue au Luxembourg pour des motifs économiques.

Or, selon l’article 9, alinéa 1er de la loi du 3 avril 1997 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il résulte de ce qui précède que, indépendamment des doutes subsistant à propos de votre récit, vous reconnaissez être venue au Luxembourg pour des motifs économiques. Le fait que votre maison aurait brûlé pendant la guerre du Kosovo ne peut pas non plus fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 21 août 2002, Mme … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 8 juillet 2002.

Par décision du 28 août 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 27 septembre 2002, Mme … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 juillet 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Il convient encore de relever que la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est contradictoire entre parties.

Au fond, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Kosovo et de religion musulmane, que la maison qu’elle y aurait eue, aurait été entièrement détruite, qu’elle n’aurait pas de possibilité de trouver un emploi au Kosovo et qu’eu égard à la mauvaise situation générale y régnant, elle craindrait pour sa sécurité, ainsi que pour celle de son fils et qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des risques de persécutions.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et de son fils et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 17 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite de la considération que les déclarations devant les autorités chargées de l’instruction de sa demande d’asile ont été partiellement contradictoires et que, de ce fait, il existe un doute sérieux - déjà relevé à juste titre par le ministre de la Justice - quant à la réalité de son prétendu retour au Kosovo, depuis son départ pour l’Allemagne en 1991, force est de constater que les risques de persécutions dont la demanderesse fait état ne constituent que, d’une part, des considérations d’ordre matériel et économique, tels le défaut d’un logement et la crainte de ne pas trouver d’emploi, c’est-à-dire la peur de connaître des difficultés financières, qui ne constituent pas à elles seules un motif de persécution et, d’autre part, des considérations vagues et non autrement circonstanciées basées sur la mauvaise situation générale, lesquelles s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15400
Date de la décision : 17/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-17;15400 ?

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