Numéro 13969 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 13 mars 2002 Recours formé par les époux … et … …-…, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13969 du rôle, déposée le 7 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître José VILLOLDO, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CZICH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, agissant en leur nom propre ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et ……, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 mai 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 9 août 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra CZICH en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 janvier 2001.
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Le 9 août 2000, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et ……, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.
Les époux…-… furent entendus séparément en date du 18 septembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa les époux…-…, par décision du 11 mai 2001, notifiée en date du 7 juin 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.
Le recours gracieux introduit par les époux…-… suivant courrier de leur mandataire du 2 juillet 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 9 août 2001, ils ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 11 mai et 9 août 2001 par requête déposée le 7 septembre 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.
Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que Monsieur… aurait refusé d’accomplir son service militaire et de donner suite aux convocations reçues par crainte de devoir participer à la guerre au Kosovo, alors que son père serait Albanais et sa famille de confession musulmane. Ils se prévalent du fait que Monsieur… et son père auraient déjà été emprisonnés pendant un mois et battus pour avoir recueilli des membres albanais de leur famille, tandis que Madame… aurait également été interrogée et frappée par la police. Ils ajoutent que Monsieur… ferait l’objet d’un mandat d’arrêt et redouterait d’être à nouveau persécuté en raison de ses origines albanaises et musulmanes. Dans la mesure où Monsieur… serait ainsi probablement attrait en justice par les autorités compétentes en cas de retour dans son pays d’origine et où il risquerait de subir un traitement discriminatoire du fait de sa confession musulmane, les demandeurs concluent que les éléments concrets par eux soumis devraient être considérés comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Concernant en effet le moyen des demandeurs fondé sur l’insoumission de Monsieur…, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève. En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa confession musulmane, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation afférente d’ores et déjà prononcée serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et insoumis, Monsieur… n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.
Quant aux autres éléments de persécution invoqués par les demandeurs, force est de constater qu’ils se situent essentiellement dans le cadre plus général de la guerre au Kosovo.
Or, en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.
Il convient encore d’ajouter que l’affirmation des demandeurs que Monsieur… ferait l’objet d’un mandat d’arrêt n’est pas non plus de nature à énerver la validité de l’appréciation ministérielle à la base des décisions critiquées, alors qu’un lien causal entre ce mandat et l’un des motifs de persécution visés par la Convention de Genève ne se trouve pas établi à suffisance de droit.
Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 mars 2002 par:
Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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