Numéro 13963 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 13 mars 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matières de statut de réfugié politique et d’autorisation de séjour
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13963 du rôle, déposée le 7 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 avril 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 août 2001 et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du ministre de la Justice du 14 août 2001 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Marie BAULER en ses plaidoiries à l’audience publique du 21 janvier 2002.
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Le 13 décembre 1999, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur… fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date du 23 décembre 1999, le juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg ordonna l’ouverture de la tutelle de Monsieur… pour la durée de son séjour au Luxembourg, en spécifiant que cette tutelle cesserait ses effets au cas où le domicile ou la résidence d’un des administrateurs légaux sera découvert et qu’un des administrateurs légaux serait dès lors à même d’exercer l’autorité parentale, et désigna comme tuteur son frère …….
Monsieur… fut entendu en date du 9 mars 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa Monsieur…, par décision du 30 avril 2001, notifiée en date du 21 mai 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.
Par courrier de son mandataire du 15 juin 2001, Monsieur… sollicita principalement la réformation de la décision ministérielle du 30 avril 2001 et la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, tandis qu’à titre subsidiaire, en cas de rejet du recours gracieux tendant à l’obtention dudit statut, il sollicita l’octroi d’une autorisation de séjour.
Suivant décision du 14 août 2001, le ministre confirma sa décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié et rejeta la demande en obtention d’une autorisation de séjour aux motifs que le regroupement familial serait réservé aux enfants mineurs, que Monsieur… ne disposerait pas de moyens personnels suffisants pour subvenir à ses besoins et que l’ordonnance de tutelle du 23 décembre 1999 ne constituerait que l’ouverture d’une tutelle et non pas un transfert du droit de garde.
Par requête déposée le 7 septembre 2001, Monsieur… a fait introduire à titre principal un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles des 30 avril et 14 août 2001 en ce qu’elles portent rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée et subsidiairement un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision ministérielle du 14 août 2001 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour.
Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Quant au recours principal L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les deux décisions ministérielles des 30 avril et 14 août 2001 en ce qu’elles portent rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ce même recours étant par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur renvoie au rapport de son audition par un agent du ministère de la Justice pour soutenir qu’il en résulterait qu’il aurait été contraint de fuir son pays d’origine alors que les forces armées auraient voulu l’incorporer de force dans la réserve de l’armée, au besoin sous la menace. Dans la mesure où il devrait craindre des représailles violentes et se verrait exposé à un climat de suspicion en cas de retour, le demandeur soutient qu’il ne pourrait, au vu de son jeune âge, plus retourner au Monténégro sans être persécuté et qu’il craindrait légitimement pour sa vie.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 9 mars 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-
même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.
Il résulte de ces développements que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse laisse d’être fondé dans son ordre principal.
Quant au recours subsidiaire Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement seulement un recours en réformation contre la décision prévisée du ministre de la Justice du 14 août 2001 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, le tribunal doit examiner en premier lieu l’existence éventuelle d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’admissibilité de cette voie de recours emporte l’irrecevabilité du recours en annulation introduit à titre principal.
Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée. Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur admet que la législation applicable prévoit le défaut de moyens personnels suffisants comme motif de refus d’une autorisation de séjour, mais se prévaut de l’engagement par un membre de sa famille à le prendre en charge, à pourvoir à son entretien et à lui permettre de suivre des études pour conclure à l’annulation de la décision attaquée du 14 août 2001.
L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : – qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Une autorisation de séjour peut donc être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. A cet égard, ne sont pas considérés comme moyens personnels une prise en charge signée par un membre de la famille du demandeur ainsi qu’une aide financière apportée au demandeur par celui-ci (trib. adm. 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas. adm. 2001, v° Etrangers, n° 101, et autres références y citées).
En l’espèce, il s’ensuit que l’engagement de prise en charge émanant d’un membre de la famille du demandeur ne répond pas à la définition légale des moyens personnels suffisants. En outre, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que Monsieur… disposait d’autres moyens personnels propres suffisants au moment où la décision attaquée fut prise.
A défaut pour le demandeur d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels ainsi définis, le ministre a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce seul motif.
Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé dans ses deux ordres principal et subsidiaire et doit partant être rejeté.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre les deux décisions ministérielles des 30 avril et 14 août 2001 en ce qu’elles portent rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, au fond, le déclare non justifié et en déboute, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre de la Justice du 14 août 2001 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision du ministre de la Justice du 14 août 2001 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 mars 2002 par:
Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
SCHMIT LENERT 6