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13/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13962

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2002, 13962


Numéro 13962 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 13 mars 2002 Recours formé par les époux … et ……-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13962 du rôle, déposée le 7 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la

Cour, assisté de Maître Jean LUTGEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des ...

Numéro 13962 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2001 Audience publique du 13 mars 2002 Recours formé par les époux … et ……-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13962 du rôle, déposée le 7 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean LUTGEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 9 août 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Marie BAULER en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 janvier 2002.

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Le 25 janvier 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et ……, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux…-… furent entendus séparément en date du 5 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux…-…, par décision du 23 mai 2001, notifiée en date du 28 juin 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les époux…-… suivant courrier de leur mandataire du 24 juillet 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 9 août 2001, ils ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 23 mai et 9 août 2001 par requête déposée le 7 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Il convient de relever liminairement que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Monténégro et de confession musulmane, se prévalent de l’insoumission de Monsieur… et exposent à cet égard que ce dernier aurait été convoqué à l’armée serbe au mois de janvier 1999, mais aurait refusé d’y donner suite par crainte d’être envoyé à combattre au Kosovo et se serait caché dans son village natal pour finalement fuir de son pays d’origine avec sa famille. Ils soutiennent ne pas pouvoir retourner dans leur pays d’origine même à l’heure actuelle, alors que Monsieur… risquerait d’être puni pénalement, à l’instar d’autres personnes en situation similaire, du chef de son insoumission. Ils ajoutent que des partisans et milices pro-serbes exerceraient toujours dans leur région d’origine des représailles contre des déserteurs et insoumis de l’armée yougoslave et surtout contre des insoumis de religion musulmane et que ces vengeances privées seraient tolérées, voire même soutenues par les autorités serbes. Les demandeurs en déduisent que la situation des personnes de confession musulmane n’aurait pas changée malgré la loi d’amnistie et malgré les changements politiques entre-temps intervenus.

Concernant la situation de Madame …, les demandeurs font valoir qu’elle devrait s’attendre, à l’instar de membres de familles d’autres réfractaires, à des représailles de la part des milices serbes en cas de retour pour avoir fui son pays et soutenu son mari. Les demandeurs renvoient finalement à leurs trois enfants en bas âge qui seraient dès lors particulièrement vulnérables.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.

5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

Concernant en effet le moyen des demandeurs fondé sur l’insoumission de Monsieur…, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève. En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de sa confession musulmane, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation afférente d’ores et déjà prononcée serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur… n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant l’appartenance des demandeurs à la minorité musulmane et le risque par eux avancé de représailles de la part de milices serbes, il y a lieu de relever d’abord que la seule appartenance à une minorité ethnique ou religieuse est insuffisante pour établir à elle seule une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de cette appartenance.

S’y ajoute que les traitements et discriminations auxquels les demandeurs se réfèrent n’émanent pas des autorités publiques mais également de groupes de la population. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier :

Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs se réfèrent d’une manière générale à l’insécurité caractérisée et le risque de maltraitances à l’encontre de la minorité musulmane, mais restent en défaut d’établir qu’ils risquent individuellement de faire l’objet de discriminations ou de maltraitances, voire qu’ils ont concrètement recherché la protection de la part des autorités publiques, ainsi que, le cas échéant, un refus éventuel d’une telle protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Enfin, les considérations des demandeurs tenant à l’âge de leurs enfants ne rentrent pas non plus dans les prévisions de la Convention de Genève en tant que motif caractérisant une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 mars 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13962
Date de la décision : 13/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-13;13962 ?

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