Tribunal administratif N° 14637 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 mars 2002 Audience publique du 11 mars 2002
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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement
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JUGEMENT
Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité brésilienne, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 février 2002 ordonnant une mesure de placement à son égard ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2002 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie HAGER, en remplacement de Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mars 2002.
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En date du 7 avril 2000, Monsieur … déposa une demande de carte de séjour pour étrangers à l’administration communale de la Ville de Luxembourg en présentant une carte d’identité portugaise. A la suite de cette demande, une carte d’identité d’étranger référencée sous le numéro 92625 valable jusqu’au 8 mai 2005 lui fût délivrée.
En date du 30 mai 2000 procès-verbal fût dressé à son encontre du chef d’usage d’une pièce d’identité falsifiée et d’infractions à la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.
l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Dans un rapport du 16 juin 2000, la police de Luxembourg informa alors le ministre de la Justice que lors d’une perquisition au domicile de Monsieur…, celui-ci a fait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée, en l’occurrence celle par lui présentée à la commune sur base de laquelle la carte de séjour prévisée pour citoyens communautaires lui avait été délivrée, tout en signalant que l’intéressé était en fait de nationalité brésilienne. Monsieur… retourna ensuite volontairement au Brésil, étant entendu que ledit voyage eût lieu aux frais de l’Etat luxembourgeois, le 8 août 2001, date à laquelle il s’est également vu notifier un arrêté de refus et d’entrée de séjour, ainsi qu’une décision négative en matière d’autorisation de séjour.
Le 27 février 2002, Monsieur… fut contrôlé au supermarché Auchan à Luxembourg où il venait de commettre un vol. Il était porteur à ce moment d’une carte d’identité brésilienne.
Par décision du ministre de la Justice du 27 février 2002, notifiée en date du même jour, Monsieur… a été placé, pour une durée maximum d’un mois, au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
Ladite décision est basée sur les considérants et motifs suivants :
« - Considérant que l’intéressé a été intercepté par la Police Grand-Ducale en date d’aujourd’hui, alors qu’il venait de commettre un vol dans un supermarché ;
- qu’en date du 20 avril 2000 procès-verbal 6/578 a été dressé à son encontre par la police grand-ducale alors qu’il faisait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée ;
- qu’un arrêté de refus d’entrée et de séjour du 3 avril 2001 lui a été notifié le 8 août 2001 ;
- qu’en date du 8 août 2001 l’intéressé devrait rentrer volontairement au Brésil via Amsterdam ;
- qu’il est signalé au SIS aux fins de non admission ;
- qu’il n’est pas en possession de documents de voyage valables ;
- qu’il est démuni de moyens d’existence personnels ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
- qu’il constitue par son comportement personnel un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;
- qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite qui nécessite que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement ».
Par requête déposée le 4 mars 2002, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement précitée du 27 février 2002.
L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, instituant un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la mesure de mise à disposition du Gouvernement dans les établissements pénitentiaires de Schrassig sous examen serait injustifiée et gravement préjudiciable à son égard. Estimant qu’il n’y aurait aucune raison de le mettre à la disposition du Gouvernement au Centre Pénitentiaire de Schrassig, étant donné qu’il n’existerait aucun risque de trouble à l’ordre public, ni danger de fuite dans son chef, le demandeur suggère qu’il aurait pu être pris en charge sans aucun risque dans un endroit approprié en attendant son éventuel refoulement plutôt que de se voir placer au dit Centre Pénitentiaire.
Tout en relevant que le demandeur ne conteste pas quant à son principe la validité de la décision ministérielle déférée, mais uniquement le choix du lieu de placement, le délégué du Gouvernement soutient que les conditions légales justifiant le placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg seraient remplies en l’espèce et il conclut au rejet du recours.
Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée que lorsque l'exécution d'une mesure d'expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l'étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d'un mois.
Il se dégage du dossier et il n’est pas autrement contesté en cause que le placement de l’intéressé a été basé sur l’impossibilité d’exécuter une mesure d’expulsion prise à son encontre. Il n’est par ailleurs pas contesté en cause que les conditions légales justifiant une mesure d’expulsion sont remplies, de sorte que le tribunal n’est pas tenu de procéder à un examen afférent sous peine de statuer ultra petita, le demandeur se limitant à contester le caractère approprié du lieu de placement en faisant valoir qu’il n’existerait pas dans son chef un danger réel de se soustraire à la mesure d’expulsion ultérieure et en insistant sur l’absence de trouble à l’ordre public dans son chef.
Si c’est certes à bon droit que le demandeur fait relever qu’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existe dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision d’expulsion un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, c’est cependant à tort que le demandeur conteste l’existence d’un tel danger dans son chef.
En effet, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur était en séjour illégal au Luxembourg lors de son interception au supermarché Auchan le 27 février 2002, qu’il était rentré au Grand-Duché de Luxembourg malgré l’existence d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour dans son chef, et qu’en dépit d’un rapatriement antérieur aux frais de l’Etat luxembourgeois dans son pays natal, il a rejoint le pays pour s’y établir de nouveau dans l’illégalité. Par ailleurs, il ressort des développements contenus dans le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement et non contestés en cause, que le demandeur s’oppose à un nouveau retour volontaire au Brésil, de sorte qu’il existe, au vu de l’ensemble les circonstances ainsi relevées, un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieur.
L’incarcération dans un centre pénitentiaire d’une personne sous le coup d’une mesure de placement, non poursuivie ou condamnée pour une infraction pénale, ne se justifie qu’au cas où cette personne constitue en outre un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. Une telle mesure est en effet inappropriée dans tous les cas où la personne visée ne remplit pas les conditions précitées et qu’elle peut être retenue et surveillée par le Gouvernement d’une autre manière, afin d’éviter qu’elle se soustraie à son éloignement ultérieur.
En l’espèce, il se dégage du dossier à charge du demandeur que celui-ci s’est présenté aux autorités luxembourgeoises en faisant usage d’une pièce d’identité falsifiée, qu’il a vécu au pays en s’y faisant passer pour un citoyen communautaire, qu’il a travaillé au Luxembourg sans être en possession d’un permis de travail légalement requis, qu’il a été rapatrié volontairement aux frais du Gouvernement dans son pays natal, qu’il a pourtant rejoint à nouveau le Grand-Duché de Luxembourg malgré l’existence d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour dans son chef et que lors de son itératif séjour illégal au pays il a de surcroît commis un vol dans une grande surface, de même qu’il a à nouveau travaillé sans autorisation afférente.
L’ensemble de ces faits caractérise le comportement d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et ce comportement justifie dans les circonstances de l’espèce qu’il soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg afin d’éviter qu’il porte atteinte à la sécurité et à l’ordre publics et surtout pour garantir qu’il soit à la disposition des autorités en vue de son éloignement ultérieur.
Force est dès lors de constater que le Centre Pénitentiaire est à considérer, en l’espèce, comme constituant un établissement approprié tel que visé par l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2002 par:
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Lenert 5