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07/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13737

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2002, 13737


Tribunal administratif N° 13737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2001 Audience publique du 7 mars 2002

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Recours formé par Monsieur , … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13737 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M.

, né le 15 juin 1968 à Mojstir (Tutin/Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant pr...

Tribunal administratif N° 13737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2001 Audience publique du 7 mars 2002

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Recours formé par Monsieur , … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13737 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. , né le 15 juin 1968 à Mojstir (Tutin/Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 mai 2001, notifiée le 6 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 25 juin 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gilbert REUTER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 31 mai 1999, M. introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en dates des 4 juin et 22 décembre 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 mai 2001, notifiée le 6 juin 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en mai 1999 pour vous rendre au Monténégro d’où vous avez rejoint l’Italie par bateau. Un passeur vous a conduit au Luxembourg en traversant la France et la Belgique. Vous êtes arrivé le 29 mai 1999 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du 31 mai 1999.

Vous exposez que vous n’avez pas été appelé à la réserve. Vous auriez été chassé de votre maison par des militaires serbes. Vous auriez aussi reçu des menaces de mort. Votre peur des militaires serait motivée par le fait que vous êtes musulman. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le fait d’être chassé de votre maison et d’avoir reçu des menaces de mort, même à supposer ces faits établis, n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés par la prédite Convention.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, il ressort de vos allégations que votre famille a pu profiter d’une possibilité de fuite interne au Monténégro et y a même loué un appartement.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 20 juin 2001, M. introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 mai 2001.

Par décision du 25 juin 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 juillet 2001, M. a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 4 mai et 25 juin 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane, c’est-à-

dire une minorité religieuse en Serbie, qu’il aurait reçu des menaces de mort et avoir été chassé de sa maison par les militaires serbes. Sur ce, le demandeur fait soutenir qu’il aurait une « extrême peur de rentrer » et que cette peur concernerait plus particulièrement un risque d’être emprisonné ou maltraité.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. .

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. lors de ses auditions en dates des 4 juin et 22 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, s’il est vrai que la situation générale des musulmans en Serbie est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, mis à part des craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, formulées en des termes très vagues et non circonstanciés, de sorte qu’ils ne constituent en substance que l’expression d’un sentiment général de peur insuffisant pour justifier une crainte légitime de persécution, le demandeur n’a fait état que d’un seul fait concret qui l’aurait poussé à quitter son pays d’origine, à savoir le fait qu’il aurait été chassé, ensemble avec ses père et mère et l’un de ses frères, de leur maison par des militaires serbes. S’il est vrai qu’un tel fait constitue certainement, à le supposer vrai, une pratique condamnable, qui pour le surplus est d’une gravité certaine, il n’en reste pas moins qu’il ne dénote pas une gravité telle qu’il établisse, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine du demandeur, étant entendu qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas établi qu’il ne peut pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-ci ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

A cela s’ajoute que, même à supposer que le demandeur ne puisse plus retourner en Serbie, il reste en défaut d’établir qu’il ne puisse trouver refuge dans une autre partie de la Yougoslavie, notamment au Monténégro, où d’après les propres déclarations du demandeur, sa famille s’est réfugiée et où elle a loué un appartement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13737
Date de la décision : 07/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-07;13737 ?

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