Tribunal administratif N° 14063 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2001 Audience publique du 6 mars 2002
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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14063 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 avril 2001, notifiée le 23 mai 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicitement confirmative du même ministre se dégageant du silence observé à la suite du recours gracieux par elle introduit en date du 20 juin 2001 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 17 avril 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l’audience publique du 18 février 2002.
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En date du 4 juin 1999, Madame …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, ainsi qu’en date du 14 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice.
Par décision du 17 avril 2001, notifiée le 23 mai 2001, le ministre de la Justice informa Madame… de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que les provocations dont elle avait fait état ne seraient pas de nature à constituer une crainte de persécutions pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève, de même que l’impossibilité de faire des études ou de trouver un emploi ne constituerait pas non plus une telle crainte, de sorte que les motifs par elle invoqués traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et ne rentreraient partant pas dans les prévisions de cette dernière. Le ministre a signalé par ailleurs qu’il ne faudrait pas oublier que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.
Par courrier de son mandataire datant du 20 juin 2001, Madame… a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 17 avril 2001.
Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une réponse de la part du ministre, elle a fait introduire, par requête déposée en date du 22 octobre 2001, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 17 avril 2001, ainsi que de celle implicite et confirmative du ministre se dégageant du silence observé par ce dernier à la suite de son recours gracieux du 20 juin 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle est originaire de la ville de Novi Pazar et de confession musulmane et que son départ de son pays d’origine aurait été motivé notamment par le fait que l’ensemble de sa famille aurait fait l’objet de discriminations par les autorités serbes dans différents domaines et ce uniquement en raison de leur appartenance religieuse et ethnique. Elle relève plus précisément à cet égard que sa famille aurait été persécutée en raison de l’insoumission de son frère, lequel n’aurait pas obtempéré aux injonctions de personnes d’origine serbe et qui n’auraient pas souhaité la présence de la famille…, de confession musulmane, dans leur quartier, très majoritairement peuplé par des gens de confession orthodoxe. Elle reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits à la base de sa demande d’asile en faisant valoir qu’un éventuel retour dans son pays serait loin d’être sécurisé, ceci eu égard à sa situation particulière en ce que sa ville natale resterait exclusivement dominée par des Serbes. Elle fait valoir en outre que toute possibilité de fuite interne sur le territoire yougoslave serait impossible dans son chef, qu’il lui serait par ailleurs impossible de trouver refuge au Kosovo, alors qu’elle ne parlerait pas la langue albanaise, et que malgré les efforts de l’administration civile mise en place en Kosovo, il serait à l’heure actuelle toujours impossible de garantir une sécurité suffisante des individus n’appartenant pas à la communauté albanaise du Kosovo.
Encore que la requête introductive d’instance sous examen fut notifiée par la voie du greffe à l’Etat suivant communication au délégué du Gouvernement du 22 octobre 2001, l’Etat n’a pas déposé de mémoire en réponse dans le délai légal de trois mois. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient à la demanderesse d’asile d’établir qu’elle remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n° 12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 29).
En l’espèce, l’examen des arguments apportés par la demanderesse au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’elle reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef de l’existence d’une crainte actuelle et justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse d’asile.
Force est de constater en l’espèce que les craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que la demanderesse n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait actuellement, à raison, intolérable dans son pays d’origine. La demanderesse ne fait en effet état d’aucun élément concret à la base de sa demande d’asile permettant d’évaluer les persécutions ou les risques de persécutions qu’elle risqueraient d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte qu’à défaut d’établir des circonstances particulières susceptibles dans son chef de justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, il y a lieu de retenir qu’il n’existe aucun élément individuel et concret de nature à établir un tel risque de subir des traitements discriminatoires pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mars 2002 par:
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4