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06/03/2002 | LUXEMBOURG | N°14017

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mars 2002, 14017


Tribunal administratif N° 14017 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2001 Audience publique du 6 mars 2002

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14017 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant a...

Tribunal administratif N° 14017 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2001 Audience publique du 6 mars 2002

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14017 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 juillet 2001, notifiée le 28 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Anja REISDOERFER, en remplacement de Maître Barbara NAJDI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 février 2002.

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En date du 18 janvier 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date des 19 mars et 21 avril 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 juillet 2001, notifiée le 28 août 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur… de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro en date du 13 janvier 1999 pour vous rendre en Albanie, puis en Italie par la voie maritime. Un passeur vous a conduit au Luxembourg, mais vous ne donnez pas d’indications concernant le trajet. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du 18 janvier 1999, le jour de votre arrivée.

Vous exposez que vous auriez reçu un appel pour faire la réserve en décembre 1998 auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous expliquez que beaucoup d’appelés ne se présenteraient pas au premier appel sans pour autant être recherchés. Vous auriez espéré y échapper aussi, mais vous auriez reçu un autre appel le 10 janvier 1999. Vous vous seriez présenté à la caserne. Quand vous auriez cependant appris que vous seriez envoyé au Kosovo vous auriez déserté. Vous craindriez à présent d’être jugé par un tribunal militaire et emprisonné pour de nombreuses années. Vous auriez aussi peur d’être arrêté et maltraité par la police civile pour avoir quitté le pays illégalement.

Vous dites aussi avoir été simple membre du parti «SDA» d’octobre 1995 à août 1998.

Vous relevez aussi que vous auriez été beaucoup provoqué à l’armée et au travail. De plus, les militaires considéreraient les musulmans comme des citoyens de deuxième classe. Enfin, vous voudriez rester au Luxembourg jusqu’à ce que la situation s’améliore dans votre pays d’origine.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à la supposer établie, ni l’insoumission ni la désertion n’est suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission respectivement de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

La simple appartenance à un parti politique est insuffisante pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Les autres motifs invoqués (provocations) ne sont pas non plus de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est également de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

2 Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée le 21 septembre 2001, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du 20 juillet 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur… fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de confession musulmane. Le demandeur ajoute qu’il aurait accompli son service militaire entre juillet 1994 et juin 1995 pendant la guerre de Bosnie et qu’il aurait été appelé début 1999 à la réserve, mais qu'il aurait déserté tout de suite après sa présentation à la caserne de Podgorica de peur de devoir partir à la guerre au Kosovo et avoir quitté son pays d’origine. Le demandeur explique cette désertion par des raisons de conscience, alors qu’il ne voulait pas faire la guerre contre des musulmans au Kosovo et parce qu’il avait « vu beaucoup d’horreur » au moment de la guerre de Bosnie. Concernant sa crainte relative aux conséquences de cette désertion, Monsieur… fait valoir qu’il risquerait une peine d’emprisonnement. Le demandeur signale par ailleurs qu’il aurait été membre du parti politique d’opposition «SDA» d’octobre 1995 à août 1998. Finalement le demandeur fait encore état du fait qu’il aurait été traité à l’armée comme un citoyen de deuxième classe et qu’en général les musulmans au Monténégro n’auraient pas de droits. Dans son recours contentieux le demandeur précise encore en relation avec son état de désertion qu’il aurait entre-temps été condamné en date du 15 septembre 2001 par le tribunal militaire de Podgorica à une peine d’emprisonnement de trois ans ce qui démontrerait pour le surplus que la loi d’amnistie adoptée par le Parlement de République fédérale yougoslave ne serait pas 3 appliquée. Dans ce contexte le demandeur se base encore sur un article paru en date du 19 mars 2001 dans la revue indépendante « Vijesti On-line ».

Le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés qui établiraient dans son chef des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur… et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives en date des 19 mars et 21 avril 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution ayant trait à la désertion de Monsieur…, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur… n’établit pas à 4 suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur, tenant au fait que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas aux insoumis qui ont quitté leur pays d’origine, illustré par l’article paru dans la revue indépendante « Vijesti On-line » en date du 19 mars 2001, étant donné que pareille interprétation n’est pas établie à suffisance de droit, qu’elle reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait d’une grande partie de sa substance et qu’au-

delà des termes mêmes de la loi d’amnistie, ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’aurait pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

De même le jugement produit par le demandeur, duquel il ressortirait qu’il aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de trois années du chef de désertion, n’emporte pas la conviction du tribunal, étant donné que ce jugement est daté au 15 septembre 1999, et non pas au 15 septembre 2001 comme soutenu erronément dans le recours contentieux, c’est-à-dire à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001.

Concernant ensuite les craintes de persécution du demandeur en raison de son appartenance au parti politique «SDA», force est de constater que la simple qualité de membre d’un parti d’opposition n’est pas, à elle seule, un motif de reconnaissance du statut de réfugié politique, d’autant plus que le demandeur reste en défaut de faire état d’une persécution concrète ou d’un risque de persécution à cause de son appartenance audit parti politique.

Pour le surplus, les craintes de persécution dont le demandeur fait état en raison de sa confession musulmane et de la situation générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-

fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison 5 suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé dans son chef.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mars 2002 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14017
Date de la décision : 06/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-06;14017 ?

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